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presque un objet de fétichisme pour la masse du peuple hollandais, et qui, par un singulier concours de circonstances, allait, pour la quatrième fois, se trouver associé à la résurrection inespérée de l’indépendance nationale. C’est au vieux cri d’Oranje boven (Orange à notre tête!) que le peuple s’était soulevé, et il eût été impossible de lui faire agréer le meilleur des Bonapartes[1].

D. J. van Lennep, qui, comme tous ses compatriotes, s’était franchement rallié à la royauté constitutionnelle de la maison d’Orange, s’occupa avec zèle de la réorganisation de l’enseignement supérieur et des milices nationales; puis il revint à ses cours, à ses études favorites, aux lettres et surtout aux lettres grecques. Plusieurs travaux de haute érudition, surtout sa belle édition des poèmes d’Hésiode, à laquelle il travailla fort longtemps, lui assignent une place d’honneur parmi les philologues. De plus il était poète, bien que peu désireux de faire montre de ses poésies[2]. En 1838, sans renoncer au culte des lettres antiques, il donna sa démission de professeur, et fut nommé membre du collège des états députés de la Nord-Hollande, position hiérarchiquement analogue à celle de nos conseillers de préfecture, mais à laquelle s’attache une bien plus grande influence<ref> Les états députés sont, comme la députation permanente des provinces belges, une délégation du conseil provincial assistant, conseillant et contrôlant l’administration du gouverneur. <ref>. Il mourut en 1859, âgé de soixante-dix-neuf ans, après avoir joui d’une belle et laborieuse vieillesse.

On verra bientôt pourquoi nous nous sommes si longtemps arrêté à parler du grand-père et du père du romancier qui va main-

  1. Dans cette lettre, écrite en français, mais signée avec une petite coquetterie de prétendant Lodewyk, le roi détrôné déclare que « depuis 1806 la Hollande est devenue son pays, qu’il n’en a plus, si elle lui manque. » Il insiste auprès de ses correspondans pour « qu’on ne rétablisse pas l’ancienne constitution, mais qu’on en adopte une libre et monarchique, à peu près comme en Angleterre et en Suède. » S’il doit remonter sur le trône de Hollande, ce ne sera que légalement et légitimement. » Du reste, et l’illusion qui la dictait mise à part, cette lettre fait preuve d’un grand bon sens politique. Le comte de Saint-Leu resta toujours très attaché à la Hollande. On possède la lettre énergique par laquelle il protesta en termes d’une grande violence contre le décret qui le privait du trône, et ce qu’on a dit de sa « soumission résignée » est de pure invention. Il publia sans nom d’auteur un roman intitulé Marie ou les peines de l’amour, dont il parut une seconde édition sous le titre plus significatif de Marie ou les Hollandaises. Nous trouvons dans cette biographie des deux van Lennep une lettre des plus affectueuses adressée en 1831 à celui dont nous parlons et dans laquelle l’ex-roi l’invitait à venir le voir en Italie. J’ai encore pu recueillir les témoignages de Hollandais de distinction qui l’avaient visité dans sa retraite près de Florence, et avaient été reçus par lui avec beaucoup de cordialité.
  2. Il ne les fit imprimer qu’en 1844, à la demande de la reine-mère, et encore cette édition ne fut-elle pas livrée au commerce. C’est son fils qui, en 1861, en fit paraître une édition publique en y joignant les poésies de Cornelis van Lennep, qui n’étaient pas non plus sans mérite.