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Buochs et de Vitznau, et séparée par elles du lac proprement dit de Lucerne et de ses deux croisillons d’Alpnach et de Kussnacht. Le large bassin enclos entre quatre ou cinq monts énormes est comme le cœur où circule la vie de ces populations, et où viennent aboutir les coulées tortueuses comme autant de veines. Des feux allumés sur les cimes donnaient l’éveil d’un bout à l’autre de la petite confédération ; des barques de sapin, effilées et légères comme celles qui sillonnent encore aujourd’hui le lac, permettaient aux confédérés de passer de l’un à l’autre de leurs remparts comme dans une forteresse. Cette merveilleuse enceinte de la Suisse primitive n’était abordable que sur trois points, dont deux à l’ouest : le passage du Brünig, qui, nous l’avons vu, sépare l’Unterwalden de l’Oberland, et le bras d’Alpnach, qui en face de Stanz n’est qu’un étroit canal entre l’Unterwalden et le pays de Lucerne ; le troisième se trouve à l’est, c’est la vallée de Schwyz. De ce côté, à cause de la largeur de la vallée, la forteresse de la nation naissante était ouverte ; mais la prévoyance des montagnards avait suppléé à l’insuffisance des remparts naturels. Une muraille et des tours de distance en distance enfermaient le pays depuis Arth, au pied du Rigi, jusqu’à Rothenthurm, où il en reste encore des traces. Le rempart grimpait le long du Rossberg et du Sattel, et achevait ce que la nature avait commencé pour la défense de ce berceau de la liberté. Ainsi ces paysans qui les premiers dans le monde se suffirent à eux-mêmes n’avaient que trois portes ouvertes sur la féodalité, qu’ils avaient mise dehors, le Brünig avec ses hautes forêts, le canal de Stanz, fossé jeté entre deux vallées ravissantes, et le plateau du Sattel, qui regarde les pays d’Einsiedeln et de Zurich. C’est autour de ces trois portes que se livrèrent les premiers combats de la liberté.


« Alors une généreuse confédération commença de grandir pour résister aux assauts. L’ennemi vint en forces ; mais il trouva de sérieux adversaires, et fut accablé sous nos coups. Il n’en put réchapper. Morgarten le vit anéantir.

« Là nous battîmes la noblesse avec tous ses soldats, nous rebroussâmes le brillant éventail du paon[1] qui nous méprisait. Une flèche nous avertit.. Le succès était douteux. Nous remportâmes à grand’peine deux victoires en un seul jour.

« L’ennemi, qui nous attaquait en plusieurs lieux à la fois, avait préparé de longue main notre ruine. Nous dûmes courir au Brünig et recommencer la bataille pour venir au secours de nos fidèles amis. Le paon nous avait préparé une chasse qui nous coûta bien des sueurs et bien du sang. »

  1. Nous avons déjà vu que le paon était l’emblème de L’Autriche.