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nisme libéral n’en paraissent pas douter. Ils annoncent avec confiance l’ère chrétienne nouvelle où la religion sera en parfaite harmonie avec la morale, avec la science, avec la philosophie, où elle s’identifiera tellement avec l’esprit moderne qu’il sera impossible de distinguer les inspirations de l’un des enseignemens de l’autre, où, en un mot, la conscience religieuse, n’étant plus enchaînée par aucun dogme, s’ouvrira, aussi bien que la conscience philosophique, à toutes les vérités du présent et de l’avenir. Alors on pourra être chrétien et philosophe sans compromis, sans concession réciproque, et le nom que l’histoire a consacré et légué aux âges futurs continuera de couvrir de son incomparable prestige l’enseignement populaire de la justice, de l’égalité, de la charité fraternelle, pur désormais de toutes les choses qui blessaient la raison et la conscience moderne. L’homme nouveau sera doux et simple, libre et chaste, juste et dévoué au nom d’un Christ idéal ou réel, peu importe, qui a mis toutes ces vertus en pratique. La conscience humaine conservera ainsi sa plus haute, sa plus touchante personnification sans perdre aucun de ses principes essentiels, et en s’enrichissant toujours des vérités ou du moins des applications nouvelles que le progrès des temps et des esprits fera entrer dans ce livre toujours ouvert de l’Évangile.

Noble espérance des meilleurs et des plus libres esprits du christianisme! Nul plus que le philosophe ne regretterait qu’elle ne fût autre chose qu’une généreuse utopie! Et pourtant il est difficile de se faire illusion au point de croire que le christianisme puisse conserver la foi des sociétés modernes dans des conditions aussi équivoques. Assurément la logique n’est pas, du moins jusqu’ici, la reine du monde : il est d’autres puissances et d’autres forces qui agissent d’une manière plus énergique et plus décisive sur les institutions religieuses, sociales ou politiques; mais ici il devient trop clair que, si le christianisme ainsi entendu peut convenir à une élite d’esprits élevés et d’âmes généreuses qui ne consentent point à séparer le progrès de la tradition, il ne pourra satisfaire ni le monde philosophique, qui ne connaît que les lois de la logique, ni le monde populaire, qui reste soumis aux lois de l’imagination. Pour le premier, le christianisme libéral ne sera qu’une des meilleures pages de la bible de l’humanité; il n’en sera jamais le livre tout entier, il ne sera jamais la source unique, éternellement jaillissante des idées, des sentimens qui viennent successivement éclairer et inspirer la civilisation progressive des sociétés humaines. Non, l’Evangile a beau être grand et profond, lu dans cet esprit qui vivifie la lettre, il ne peut comprendre la conscience humaine tout entière, et alors même que la raison du philosophe pourrait accepter toute