Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/847

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dieu, croire à la réalité de l’être historique qu’elle nomme le Christ, c’est toujours croire à un dogme, que ce dogme ait pour objet l’Être théologique ramené à sa plus simple expression ou le fait historique réduit à son minimum de réalité. Or nos nouveaux adeptes du christianisme libéral n’en veulent d’aucune espèce, ni à aucun prix. Écoutez l’un d’eux, bien jeune encore, M. Ferdinand Buisson, mais dont la maturité philosophique égale déjà l’ardeur évangélique. « Tandis que les orthodoxes et les hétérodoxes ne donnent le titre de chrétien et de réformé qu’à ceux qui croient certains faits sur Jésus-Christ ou certains dogmes d’après Jésus-Christ, le libéralisme le donne à quiconque croit en Jésus-Christ. » Tandis que les deux autres demandent : « Croyez-vous ce livre ? » (un catéchisme de cent articles ou de deux, peu importe), — celui-ci demande : « Croyez-vous cette personne, Jésus-Christ ? » Une personne vivante, un livre qui en est comme l’image, voilà toute sa base doctrinale et historique. La seule confession de foi qu’il exige en laissant chacun libre d’y ajouter pour son compte des opinions orthodoxes ou hétérodoxes, c’est celle des premiers chrétiens : « crois à notre maître, Jésus. » Tel est le dernier mot du christianisme libéral. On peut rester chrétien sans croire ni au dogme, ni même à l’histoire évangélique. La parole et la vie du Christ suffisent par leur vérité et leur vertu propre, qu’elle qu’en soit l’authenticité. C’est là que la logique devait conduire le principe du protestantisme poussé à ses dernières conséquences. Mais le christianisme ainsi transformé est-il bien encore une religion ? et ses apôtres ne seraient-ils pas fort embarrassés d’y retrouver les caractères qui distinguent une religion d’une simple doctrine morale ? Quand on a retranché du christianisme toute sa théologie pour le réduire à la tradition évangélique, et que de cette tradition on a supprimé l’histoire elle-même de la vie et de la personne de Jésus, que reste-t-il, sinon une pure doctrine morale, ou plutôt un esprit, un sentiment moral ? car le titre de doctrine peut à peine convenir à un petit nombre de sentences, de paraboles et d’exemples qui n’ont de lien que l’esprit admirable qui les inspire. L’enseignement évangélique des synoptiques n’est plus alors qu’un beau chapitre de psychologie ; c’est une des plus belles pages, la plus belle, si l’on veut, de cette grande bible de l’humanité qui a pour source d’inspiration la conscience humaine et pour organes tous les saints des religions et tous les sages de la philosophie.

La religion ramenée à l’idéal moral de la conscience par une série de formules dont la dernière aura, été le christianisme, n’est-ce point la conclusion du grand mouvement religieux qui commence au fétichisme et finit à l’Évangile ? Les missionnaires du christia-