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Le christianisme libéral a d’ailleurs une raison historique de procéder ainsi. La doctrine qu’il propose aux diverses sociétés religieuses comme point de ralliement n’est pas une œuvre de simplification logique ou d’épuration morale tentée par des philosophes sur la véritable et vivante pensée chrétienne, c’est la doctrine primitive elle-même, la propre et pure doctrine du Christ. Rien d’essentiel ne lui a été ajouté en ce qui concerne la vérité morale par le progrès de sa théologie. A vrai dire, si elle a singulièrement gagné en portée et en profondeur métaphysique, elle a plutôt perdu en pureté morale à partir du moment où l’inspiration de la conscience du Christ est devenue une déduction de la raison théologique. C’est donc là, et non dans le dogme ultérieurement élaboré et formulé par un effort d’abstraction métaphysique, qu’il faut chercher l’essence du christianisme. C’est par là qu’on est chrétien, qu’on reste chrétien, quand on rejetterait le dogme tout entier. Tout homme qui s’abreuve à cette source a le droit de se dire chrétien à bien meilleur titre que les croyans qui s’enferment dans les formules du dogme ou s’attachent aux récits d’une légende plus ou moins historique. Ce point de vue explique la profonde indifférence des chrétiens libéraux pour les discussions, soit théologiques, soit historiques, qui remplissent les annales de la critique moderne. Tout entière à la pensée et à la pratique du Christ, leur foi ne se croit guère plus intéressée à la critique des dogmes théologiques ou des traditions historiques du christianisme qu’à la critique des systèmes de métaphysique ou des faits d’histoire générale. Quand ils y prennent part, c’est comme philosophes ou érudits, non comme croyans; c’est pour eux affaire de science et non de foi. Aussi voit-on les organes les plus distingués du christianisme libéral donner la main à Baur, à Strauss, à Renan, comme à des savans qui travailleraient à la même œuvre qu’eux en dégageant l’idéal chrétien des légendes superstitieuses, des formules scolastiques ou mystiques dont il a été enveloppé et obscurci.

Tous les organes de cette nouvelle et radicale réforme ne vont pas aux dernières conséquences logiques du principe posé. Les uns ne suppriment que l’Ancien-Testament, les autres s’arrêtent à une simplification de la théologie, dans laquelle ils conservent le dogme de Dieu en une seule personne, abandonnant aux subtilités de la théologie alexandrine la divinité du Fils et celle du Saint-Esprit; d’autres retranchent du domaine de la foi religieuse tout dogme et toute conception théologique; d’autres enfin en viennent jusqu’à supprimer la personnalité historique du Christ et tout ce qui s’y rattache. C’est en effet à cette dernière formule que le christianisme libéral est fatalement conduit, car c’est la seule qui ne puisse être contestée ni par la philosophie ni par la critique moderne. Il faut