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textes sacrés. Alors quel moyen de rétablir l’entente parmi les membres de la grande société protestante? A défaut de l’autorité et de la discipline d’une église, il ne peut y en avoir d’autre que l’autorité de la vérité et la lumière de l’évidence. De là la nécessité de ramener la doctrine chrétienne à un principe d’une simplicité incontestable, à un sentiment d’une puissance irrésistible, en écartant tout ce qui est métaphysique et théologie proprement dite. C’est ce que font les docteurs du christianisme libéral avec plus ou moins de fermeté et de logique. Ils regardent cette œuvre de réduction et de simplification comme d’autant plus urgente que la science moderne n’a pas laissé pierre sur pierre de l’édifice théologique et historique sur lequel les églises du passé font reposer tout le christianisme. Pendant que la philosophie réfutait ou transformait la partie dogmatique, la critique réduisait à néant la partie historique, sinon tout entière, du moins en ce qui touche au surnaturel. Négation du dogme au nom de la conscience et de la raison, négation de l’histoire au nom de la critique et de la science positive : quel asile restait à la pensée et à la loi des croyans, sinon la morale évangélique, source toujours féconde du sentiment chrétien, sanctuaire inviolable de la foi religieuse ? On peut nier toute la théologie, toute la morale, toute l’histoire de l’Ancien-Testament, la vieille loi en un mot, si contraire en tant de points à la nouvelle; on peut nier la théologie moitié orientale, moitié grecque dont l’Évangile de saint Jean a produit la pensée, dont le concile de Nicée a formulé le symbole assez longtemps après l’éclosion de la doctrine évangélique; on peut nier la doctrine de saint Paul et de saint Augustin sur le péché originel et la grâce; on peut nier toute l’histoire surnaturelle et la divinité du Christ, dont Jésus lui-même ne semble pas avoir la moindre conscience, on peut aller même jusqu’à nier ou du moins à laisser aux disputes de l’école les attributs métaphysiques d’un Dieu quelconque, individuel ou universel, principe du monde physique ou du monde moral; enfin on pourrait nier jusqu’à la personne humaine de ce Christ qui a donné son nom à la doctrine évangélique; mais la doctrine elle-même, mais l’esprit qui l’inspire, mais le sentiment qui la vivifie, restent debout sur les ruines de l’échafaudage dogmatique et historique, défiant les attaques de la critique, les révélations de la science et les injures du temps, éternellement vrais et féconds comme la conscience humaine! Qui peut nier cette doctrine, cet esprit, ce sentiment, sans renier la conscience elle-même dont l’Évangile est l’éternel idéal? La critique, la philosophie, la science du XIXe siècle ont beau faire : le christianisme libéral croit avoir trouvé là le fondement inébranlable de la future église chrétienne au sein de laquelle doivent finir toutes les disputes et se réconcilier toutes les sectes.