Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/836

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devaient répugner invinciblement les vrais croyans aussi bien que les vrais révolutionnaires, et la méthode historique de Buchez, il faut bien le dire, était encore moins faite que sa méthode philosophique pour opérer un pareil rapprochement. On peut à la rigueur réconcilier, dans une haute pensée philosophique et morale, le christianisme et la révolution. Dans le sein même de notre société et de nos assemblées révolutionnaires, on a vu se produire des esprits élevés, des âmes généreuses, comme Fauchet et Grégoire, qui ont confondu dans une même foi le Sermon sur la montagne et la Déclaration des droits de l’homme; mais allier la ligue avec la révolution au nom du principe de la souveraineté populaire, voir dans la faction des seize et le comité du salut public cette même cause de l’unité nationale si chère à juste titre à l’auteur, c’était un paradoxe que ne pouvaient accepter ni les amis de l’église ni les amis de la révolution. Pour comprendre la puissance d’une idée fixe sur un esprit de cette trempe, il faut le suivre dans cette laborieuse démonstration historique où le catholicisme est d’abord le créateur de la nationalité française au temps de Clovis et de saint Rémi, — puis l’instituteur de la démocratie naissante aux temps d’Etienne Marcel et de la ligue, puis enfin, malgré toutes les apparences contraires, le véritable inspirateur d’une révolution dont la devise se résume dans la grande devise liberté, égalité, fraternité. La réforme n’est pas ménagée dans cette manière de comprendre l’histoire de France. Si l’âme excellente de notre philosophe ne peut se défendre d’un sentiment de profonde sympathie pour les victimes, quelles qu’elles soient, des guerres religieuses, sa pensée repousse énergiquement le protestantisme, dont la défaite lui apparaît comme le salut de la nationalité et de la démocratie française tout à la fois.

Pourquoi? C’est ce qu’explique philosophiquement le plus savant de ses disciples, M. A. Ott, dans l’avant-propos de son livre sur la philosophie allemande. « La France, dit-il, est une nation catholique : chez elle prédominent les sentimens d’unité, les idées sociales; dans les croyances françaises, l’individu est subordonné à la société, le moi n’est qu’un point de la circonférence, la raison de chacun doit se soumettre à la raison de tous. L’Allemagne au contraire est la patrie du protestantisme, de l’esprit de division et de séparation; chez elle, le moi s’est fait centre, la raison individuelle ne reconnaît aucune autorité supérieure, le point de vue individuel domine le point de vue social[1]. » Ce sentiment est commun à toutes les écoles néo-catholiques; Lamennais le partage, bien que

  1. Hegel et la Philosophie allemande.