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est la même; il y a tout d’abord un monstre à exterminer. Une conviction bien différente s’est depuis longtemps affermie dans mon âme... Ces idées d’affranchissement, qu’on prêche comme une révélation nouvelle, ou reproduisent fidèlement l’Evangile, ou sont les conséquences nécessaires de ses dogmes[1]. » Tel est le début d’un livre consacré tout entier à la démonstration de cette affinité des sentimens évangéliques et des théories sociales.

Buchez est avant tout un esprit pratique, l’apôtre dévoué et le courageux soldat de la démocratie, le promoteur et l’organisateur des premières associations ouvrières, dont quelques-unes subsistent encore. Philosophe, historien, politique, savant, il a fait de la tradition religieuse la lumière de sa science philosophique, historique, politique, physiologique. Dans la théologie chrétienne, il a cru retrouver les principes, les idées-mères de toutes les grandes doctrines de la philosophie moderne. Cette théologie elle-même, il la fait remonter par une chaîne de traditions à une révélation primitive unique, laquelle est l’origine du langage, des idées, de la conscience et de la raison, c’est-à-dire de toute pensée, de toute doctrine, de toute science, de tout progrès, de toute civilisation humaine. Buchez sur ce point ne parle pas autrement que Bonald et toute l’école théologique. Toute l’originalité de sa philosophie consiste dans le caractère plus neuf et plus scientifique de ses démonstrations. Tandis que l’école théologique fait appel à l’ancienne science en essayant de la rajeunir par l’éloquence et le talent d’écrire, Buchez, qui n’est ni un orateur, ni un écrivain, cherche surtout ses raisons et ses argumens dans la science nouvelle; il arrive à donner à l’idée traditionnelle la rigueur au moins apparente d’une théorie. Ainsi, à propos des différences qui distinguent l’enseignement humain et l’enseigneinent divin, et après avoir énuméré les signes qui font reconnaître le premier, il ajoute : « C’est aux signes contraires que l’on reconnaît l’enseignement divin. Il est absolument a priori ou tel que manifestement nul homme n’eût pu l’imaginer. Il est applicable à tous les temps comme à tous les lieux; il est intégralement innovateur, et cependant il comprend le passé qu’il accomplit et explique comme il contient tout l’avenir. Il donne simultanément la loi des rapports moraux entre les êtres, et comme conséquence le dogme des existences. Il est d’une fécondité sans limites et telle que l’on n’en aperçoit point la fin, quelque nombreux que soient les fruits que l’on en a déjà tirés. Il peut engendrer simultanément plusieurs buts sociaux; il est riche de mille secrets scientifiques et pratiques. Enfin il est propre à conduire sûrement la société, et seul il

  1. Le Règne social du christianisme, par F. Huet, p, 3 et 4.