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La lecture des Évangiles et l’histoire de l’église primitive nous montrent un autre aspect du christianisme non moins réel et plus propre à captiver l’attention des esprits pratiques : c’est le principe ou plutôt le sentiment d’égalité et de fraternité qui remplit la morale évangélique et inspire les premières communions chrétiennes. A entendre le langage, à voir l’exemple du Christ, de ses apôtres, de son église, non-seulement dans les premiers temps, mais au moyen âge, qui fut l’âge triomphant des ordres mendians, on ne peut s’empêcher de reconnaître la profonde affinité des doctrines chrétiennes avec certaines théories modernes. Il devait donc se rencontrer des esprits et des écoles qui, particulièrement frappés de cette analogie, fussent conduits à faire de la tradition religieuse le point de départ et même la base de leur philosophie politique et sociale, et à conclure que le christianisme est la religion de la démocratie, du socialisme et même de la révolution, qui l’a proscrit sans le connaître, et avec laquelle il s’agit de le réconcilier. Des esprits spéculatifs comme Lamennais, Bordas-Dumoulin, François Huet, des esprits pratiques comme Buchez et la plupart de ses disciples ont soutenu cette alliance avec une grande éloquence et un admirable dévoûment.

Ce que demandaient Lamennais et ses jeunes amis, Lacordaire et Montalembert à la cour de Rome, c’était non point un changement radical de doctrine, un christianisme vraiment nouveau, mais un retour à la doctrine primitive du Christ, des apôtres et des pères, avec l’indépendance entière de l’église et de la papauté. Rome trouva la chose grave et se fâcha contre les novateurs. C’était en effet une véritable révolution religieuse dont Rome pouvait s’effrayer à bon droit, et dont les novateurs eux-mêmes ne se dissimulaient point la portée. Le christianisme de Lamennais tendait surtout à réconcilier l’église avec la liberté et avec la démocratie. Celui de MM. Huet et Buchez, avec des nuances théologiques et métaphysiques distinctes, prétend à l’alliance intime de l’église avec le socialisme et la révolution, a Deux grandes opinions, dit le premier, deux puissances, aujourd’hui divisées et qu’on juge irréconciliables, ébranlent le monde de leurs combats, et menacent, dans une lutte suprême, de tout abîmer sous des ruines. L’une de ces puissances s’appelle l’église, et sa doctrine le christianisme, l’autre s’appelle la révolution, et sa doctrine le socialisme. A entendre ce qui se répète partout, entre le christianisme et le socialisme, entre l’église et la révolution, il n’y aurait aucun pacte possible. Les peuples ne pourraient conquérir le repos et la félicité qu’en arrachant de leur sein l’un des deux principes, pour livrer au principe rival une domination exclusive. De part et d’autre, la hâte