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qui semble avoir échappé à l’imagination des poètes et des artistes chrétiens dans les époques de plus grande foi : c’est le côté esthétique de cette grande religion. L’art classique, resté païen et plongé dans la mythologie grecque, avait toujours ignoré ou dédaigné les vertus poétiques du christianisme que l’imagination romantique de Chateaubriand et d’autres écrivains de la même école est venue révéler à notre littérature. Il a fallu le Génie du christianisme et les Martyrs pour apprendre aux croyans comme aux sceptiques qu’il y a là tout un monde de légendes, de symboles, d’idées et de sentimens où l’art moderne n’avait qu’à puiser pour se renouveler et se rajeunir. Il a fallu la critique des Schlegel et de leur école pour faire voir combien le fond de la littérature moderne était chrétien, même en France, quelle qu’ait été la passion de la renaissance pour l’antique. Ce n’est là, dira-t-on, qu’une révolution esthétique avec laquelle la véritable foi religieuse n’a rien à faire. Ceci n’est vrai que dans une certaine mesure. Le fait est que cette révolution a été l’une des causes les plus actives de la renaissance catholique qui a suivi la révolution et l’empire. L’admiration des cathédrales, la « religion du gothique, » comme on a dit plaisamment, n’était qu’un détail dans l’universelle rénovation de l’art, dont les anciennes croyances se sont si bien trouvées. Ce n’est pas seulement à l’imagination, c’est surtout à la sensibilité, au cœur, que l’art nouveau a parlé. Son génie n’a pas moins marqué de sa forte empreinte les œuvres intimes de la poésie et du roman que les œuvres plastiques de l’architecture, de la sculpture et de la peinture. C’est l’âme humaine tout entière qu’il a saisie dans ses plus profondes entrailles. Grâce à cette inspiration tout esthétique, il se forma tout à coup un christianisme de sentiment plutôt que de dogme et de pratique, qui aida la véritable religion à ressaisir son empire sur les âmes et les intelligences. Combien d’esprits d’élite en ce temps-là, suivant l’exemple de Chateaubriand, sont revenus au catholicisme par cette voie, sauf ensuite à en reprendre les graves enseignemens et la sévère discipline! Ce n’est donc point abuser des mots que de parler d’un christianisme esthétique quand on a vu de près la foi religieuse de tant de catholiques de cette époque. Aujourd’hui cette foi est un peu passée de mode avec le romantisme, qui l’avait suscitée. Il s’en fait une autre qui, pour être moins poétique, n’en est pas plus solide : c’est la foi des sages de notre temps, où la politique n’a guère laissé de place à l’imagination et au sentiment.

Il suffit d’ouvrir les annales de la théologie chrétienne pour y reconnaître une grande tradition métaphysique qui remonte à l’école de Platon, et dont le double caractère est d’être essentielle-