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ment et pour dire le moins possible. On pourrait tout au plus remarquer que le premier manifeste de l’amiral Topete parlait encore de la monarchie, du trône, et que le manifeste de tous les chefs réunis de l’insurrection n’en parle plus, quoiqu’il ne parle point d’autre chose. Ce qui est bien clair, c’est que la royauté d’Isabelle II disparaît dans cette tempête nouvelle. S’arrêtera-t-on à un régime exercé par quelque personnage populaire au nom de l’héritier actuel de la couronne, du prince des Asturies ? Il est au moins douteux que la révolution s’arrête devant cette frêle barrière. Elle a pris dès la première heure un caractère trop manifestement anti-dynastique ; mais alors que peut-il arriver ? Quelle est la combinaison la plus propre à rallier les esprits lancés dans l’inconnu ? C’est là vraiment que tout est possible. Qu’on remarque seulement que dans cette révolution triomphante les généraux de l’union libérale ont jusqu’ici une action prépondérante et décisive ; qu’on se souvienne que dans ces préliminaires obscurs de l’insurrection, où ils étaient encore en dissidence avec les progressistes, ils devaient avoir leur idée, leur dernier mot, qui n’est point dit encore. La révolution qui s’accomplit crée sans nul doute une situation très nouvelle, où toutes les idées peuvent se produire, où les, progressistes vont naturellement du premier coup monter au pouvoir ; elle ne fera pas que les chefs militaires par lesquels cette situation nouvelle existe n’aient une grande part dans les événemens qui vont se précipiter, dans les combinaisons qui peuvent être adoptées, et de toutes ces combinaisons, la république, dont le nom va retentir de nouveau, est probablement celle qui a le moins de chances, quoiqu’un régime provisoire puisse durer quelque temps. Encore une fois, c’est l’inconnu qui commence, un inconnu d’autant plus redoutable qu’il y a des contrées de l’Espagne où les populations sont cruellement éprouvées, souffrent d’une véritable famine, et n’ont pas même de quoi ensemencer les terres. Toutes les passions peuvent faire explosion à la fois, toutes les espérances, même les espérances du parti carliste, peuvent se réveiller à la faveur de cette grande crise. C’est à tous les hommes libéraux, sensés, sincèrement patriotiques, de ne pas laisser les esprits s’aigrir dans des troubles indéfinis, de rallier le plus promptement possible l’Espagne sous le drapeau d’une régulière et honnête liberté, à l’abri d’un gouvernement qui garantisse sa sécurité sans menacer ses franchises nationales. La révolution actuelle a été tristement provoquée par une réaction sans mesure et sans prévoyance, c’est à cette révolution victorieuse de ne point provoquer à son tour une réaction nouvelle qui réduirait l’Espagne à tourner sans cesse dans ce cercle de convulsions vulgaires.

S’il y avait un orage dans l’air, ce n’est pas cependant du côté de l’Espagne qu’on le cherchait ou qu’on l’attendait, au moins pour le moment. Sans doute cet orage, on le voyait depuis longtemps se former au-dessus