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de ce qu’il pouvait : mais que pouvait-il ? Dès la première heure, on a senti en lui un pouvoir plus dévoué que convaincu, décidé dans tous les cas à ne pas dépasser les limites d’une certaine modération ; ses actes comme ses paroles portaient la marque de ses perplexités. C’était un chef de bonne volonté voyant tomber par hasard dans ses mains une dictature énervée et inutile. Le général Concha s’est servi de cette dictature honorablement, sans emportement et sans illusion, c’est tout ce qu’on peut dire. Pendant ce temps, l’insurrection grandissait et se fortifiait en Andalousie, favorisée par tout le monde, ralliant les troupes et les populations, s’établissant à Cadix et à Séville.

Elle a commencé, disions-nous, par la marine, et ici encore on peut voir la marque de l’imprévoyance avec laquelle étaient conduites les affaires espagnoles. Il y a quelques mois, puisqu’on ne faisait rien de mieux, on se prit d’une belle passion pour les économies ; mais sur quoi pouvaient porter ces économies ? Elles ne devaient point atteindre le clergé, qui était le grand allié moral ; elles ne pouvaient atteindre l’armée, qui était la grande force matérielle et qu’on ne voulait pas mécontenter. Il restait la marine, qu’on ne redoutait pas, parce qu’elle ne s’est jamais soulevée, parce qu’elle est toujours restée étrangère aux révolutions politiques. La marine paya pour tout le monde ; elle fut d’autant plus froissée que tout cela lui était imposé par un ministre de fort peu d’autorité, et le jour est venu où la marine, aigrie et mécontente, a pris à son tour, avec une singulière unanimité, l’initiative du mouvement par i’organe de l’amiral Topete, qui a poussé le premier cri d’insurrection. Il est facile de voir du reste que tout était préparé d’avance, que le mouvement était combiné avec le général Prim, arrivant d’Angleterre, surtout avec les généraux de l’union libérale, Serrano, Dulce, qu’on était allé chercher aux Canaries, de telle sorte qu’en un instant l’insurrection s’est trouvée en force, occupant tout le midi, ayant des arsenaux, des navires, une armée, disposant pour son organisation de villes populeuses et riches. À la rigueur tout dépendait encore d’une rencontre, d’une victoire de Pavia, envoyé contre Serrano s’avançant à la tête des forces insurrectionnelles. C’est le contraire qui est arrivé. C’est Pavia qui a été battu et personnellement blessé. Les conséquences n’ont pas tardé à éclater. Madrid a fait son mouvement sans combat ; le général Concha a abdiqué ses fonctions, et l’Espagne entière est encore une fois en plein pronunciamiento. La révolution est donc matériellement victorieuse, et de cette révolution plus grave, plus énigmatique que toutes les autres, que va-t-il sortir ? Il y a sans doute le programmer des généraux insurgés, le manifeste de Cadix, — les cortès constituantes pour décider de l’avenir de l’Espagne, le suffrage universel pour élire les certes constituantes, la souveraineté nationale proclamée comme principe ; — mais les programmes sont des programmes, ils sont faits pour servir de mot général de rallie-