Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/742

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la nation, la constitution chilienne établit une entente qu’on rencontre bien rarement chez d’autres états hispano-américains. Sans abandonner la haute direction des affaires, le pouvoir sait céder aux exigences de l’opinion lorsqu’elles se sont accentuées assez énergiquement.

C’est ce qui arriva durant la guerre contre l’Espagne. Après l’occupation des îles Chinchas, l’exaltation populaire avait été jusqu’à réclamer l’envoi immédiat sur le théâtre des hostilités de toutes les forces de terre et de mer dont la république disposait. Le gouvernement se garda de se mettre brusquement en opposition avec cette première effervescence. Il savait qu’une telle exagération ne pouvait durer. Il promit d’aider à défendre l’indépendance du Pérou, si elle était menacée; mais il ajouta que les déclarations solennelles de l’Espagne ne permettaient pas de supposer que ni l’intégrité ni l’autonomie du territoire péruvien pussent être le moins du monde en question. Il sut ainsi se maintenir dans une sage neutralité. De leur côté, les masses ne tardèrent pas à comprendre que l’envoi de la petite armée chilienne ne serait d’aucun effet contre une escadre stationnée au large, et peu disposée à opérer un débarquement. Le concours de la marine chilienne, — une corvette de vingt canons et trois petits avisos, — n’eût pas mis la flotte péruvienne mieux en état d’aborder l’escadre espagnole. Le gouvernement péruvien n’entamait pas les hostilités : ce n’était pas au Chili de prendre l’offensive, surtout lorsque, au dire de l’Espagne, la question se réduisait à des réclamations pécuniaires. Toutefois, malgré sa déclaration de neutralité, le cabinet chilien, obligé de céder dans une certaine mesure à l’opinion publique, restée en méfiance, n’était pas libre de demeurer entièrement impartial. Quelques volontaires s’embarquèrent à Valparaiso pour se rendre au Pérou. Un décret, classant le charbon de terre parmi les objets de contrebande de guerre, en interdit la vente aux Espagnols comme aux Péruviens. Dans la circonstance, lorsqu’il s’agissait d’une guerre exclusivement maritime, cette décision était sans doute équitable; mais en réalité le Pérou, qui ne tenait pas d’escadre à la mer, et qui eût trouvé du charbon chez lui, avait infiniment moins à en souffrir que l’escadre espagnole, dont l’approvisionnement ne pouvait s’opérer que chez les neutres.

Les rapports entre l’Espagne et le Chili avaient depuis longtemps un caractère amical. Il semble qu’entre toutes ses colonies américaines l’Espagne ait surtout regretté le Mexique et le Pérou. La cour de Madrid avait reconnu l’indépendance de la république chilienne, et elle entretenait un chargé d’affaires à Santiago. Celui-ci réclama dès le début contre des procédés qui s’accordaient