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d’étudier ni les origines du conflit, ni les phases successives qu’il traversait, ni les modifications qu’il accusait dans les dispositions des états sud-américains, ni même l’atteinte que ce nouvel insuccès de l’Espagne pouvait porter au gouvernement de la reine Isabelle. Cette guerre, dans laquelle la résistance des républiques du Pacifique a fini par prendre le même caractère d’opiniâtreté que l’on a pu remarquer chez les belligérans du Paraguay, offre pourtant plusieurs sujets d’étude. Pour la première fois, les forces organisées des jeunes états du continent sud-américain ont réussi à soutenir une lutte régulière contre une puissance européenne. C’est également la première fois que quelques-uns d’entre eux ont uni leurs ressources et discipliné leurs efforts pour combattre les attaques du dehors. Ce sont là deux faits nouveaux dont il ne convient pas plus d’exagérer que d’amoindrir la portée, et qui ne sauraient être exactement appréciés, si on n’étudiait pas l’ensemble des circonstances dans lesquelles ils se sont produits.

Quels sont les motifs qui ont successivement armé contre l’Espagne les républiques du Pérou, du Chili, de l’Equateur et de la Bolivie? Un retour sur certains traits de la politique espagnole dans ces dernières années les fera mieux comprendre. Il semble que le gouvernement de Madrid, en dépit de ses embarras financiers et pour faire diversion aux difficultés de sa situation intérieure, ait été, lui aussi, pris du désir d’affirmer au dehors son influence et son autorité. Cette disposition se manifesta d’abord par une campagne heureuse contre le Maroc (1860-1861), et par une expédition en Cochinchine poursuivie de concert avec la France.

Toutefois c’était vers l’Amérique que l’Espagne tournait le plus volontiers ses regards. Sans doute elle avait accepté l’autonomie de ses anciennes colonies; mais un sentiment naturel chez les peuples comme chez les particuliers l’empêchait de perdre entièrement le souvenir de la suprématie qu’elle avait jadis exercée sur les conquêtes des Cortez et des Pizarre. Moins qu’aucune autre nation de l’Europe, l’Espagne pouvait oublier qu’elle avait dominé sur la plus grande partie du Nouveau-Monde, et que la période la plus éclatante de sa grandeur et de sa puissance avait coïncidé avec l’établissement de cette domination. Elle ne s’était pas encore habituée à considérer comme entièrement soustraites à sa tutelle, et aussi peut-être comme dépourvues de droits à sa protection, des populations qui tiraient d’elle son origine, et qui lui avaient été si longtemps et si absolument soumises. Une telle disposition donnait souvent un certain caractère de hauteur inconsciente aux rapports que le gouvernement espagnol entretenait avec les nations hispano-américaines. Celles-ci de leur côté, toujours en