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ne se fondent jamais; elles restent toujours distinctes, c’est l’esprit seul qui les unit. Dove en a fourni une preuve très saisissante. Nous nommons corps brillans ceux qui peuvent réfléchir un rayon de lumière dans l’un de nos yeux sans le réfléchir dans l’autre, de façon que, si nous les regardons en fermant alternativement l’œil droit et l’œil gauche, ils sont éclairés tout différemment. Qu’une surface unie, blanche sur une image stéréoscopique, la droite, par exemple, soit peinte en noir sur l’image gauche, et dans l’instrument elle apparaîtra brillante comme une surface métallique, lors même que le papier est entièrement mat et terne. D’où vient cette illusion étrange? De ce qu’un œil reçoit de la surface en question de la lumière, tandis que l’autre n’en reçoit pas, caractère que nous sommes habitués à trouver dans les corps brillans. Il faut bien que les deux impressions reçues dans ce cas restent absolument et matériellement distinctes, puisque c’est l’hostilité même de ces impressions qui cause ici l’illusion de l’éclat stéréoscopique. Si les deux impressions se fondaient comme se mêlent deux couleurs, nous verrions, par le mélange du blanc et du noir, une surface grise et mate; or c’est ce qui n’a pas lieu. Les deux impressions, loin de se mêler, restent indépendantes et pour ainsi dire en lutte. C’est l’esprit qui les accorde. Il lui faut deux signes pour apercevoir un objet.

Toutes les observations tendent donc à infirmer la théorie qui considère le phénomène de la vision comme résultant d’une harmonie préalable entre le sujet et l’objet, harmonie parfaite dès le début et résultant d’un agencement matériel irréprochable. Nous avons vu que l’œil a de graves défauts et comme instrument d’optique et comme organe de sensibilité. Cela étant, il semble naturel de penser que la fonction participe des imperfections de l’instrument. Nous apprenons à voir, et le toucher est indispensable à cette éducation. Regardez l’enfant qui tourne lentement son grand œil vague; en même temps ses petites mains se dressent et cherchent partout ce monde qu’il ignore encore. Pense-t-on qu’il ait une notion exacte des distances et des formes? Ne le voit-on pas sans cesse essayer de saisir ce qui est hors de sa portée? Ses mains jouent avec tous les objets; il veut tout prendre, tout saisir, toucher à tout. Il aime les contours, les couleurs les plus simples; quelle sottise de lui donner des jouets compliqués! il préférera toujours les plus naïfs, les plus grossiers. La petite fille laissera la riche poupée couverte de dentelle et de soie, pour la poupée grossière et informe qu’elle a mille fois tournée et retournée. Les enfans tirent du toucher des sensations et des plaisirs que nous ignorons. C’est par les mains surtout qu’est satisfaite cette curiosité naissante, sans frein.