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fices, que la présence de tels objets dans une image fournit des données immédiates pour mesurer les autres. Les ombres portées, la grandeur, l’inclinaison qu’elles présentent nous sont aussi d’un grand secours, de même que les directions perspectives et l’affaiblissement de la lumière avec la distance; mais, qu’on le remarque, c’est l’esprit seul qui travaille sur ces données. Un œil unique juge les distances de la façon dont nous les apprécions idéalement dans le tableau d’un peintre. Dans la vision ordinaire, les choses se passent autrement, et il n’est pas très facile de définir la part précise de la vue binoculaire dans la sensation du relief et dans le sentiment de la distance. On aurait pu croire, et cette opinion a été en effet soutenue, que la mobilité des yeux y avait quelque part : si l’on regarde attentivement dans un stéréoscope, on verra que les deux images ne sont vraiment bien fondues qu’aux points où se fixe la vision directe; dans le champ de la vision indirecte, il y a toujours un peu de trouble causé par la lutte de deux images. Il faut que l’œil se promène partout sur le tableau stéréoscopique pour bien s’emparer en quelque sorte de toutes les formes. Les mouvemens, les promenades lentes du regard, rendent le relief plus sensible, mais l’œil immobile est cependant capable de le saisir; Dove a fait voir que l’illusion stéréoscopique se produit encore quand on éclaire les images par une étincelle électrique qui ne brille que pendant un quarantième de seconde. Ainsi deux impressions se confondent dans un temps infiniment court en une seule sensation. L’esprit a la part souveraine en ce merveilleux phénomène; il n’en faut chercher l’explication ni dans l’agencement des nerfs au fond du cerveau, ni dans des dispositions préordonnées et des correspondances des points rétiniens; l’anatomie et l’optique renversent ces fragiles hypothèses. Non, le sensorium reçoit bien deux impressions distinctes, d’autant plus distinctes que l’objet est plus rapproché : l’esprit instruit par une longue expérience interprète ces deux impressions, et l’idée qu’il en reçoit est une idée qui s’accorde et s’accommode à la réalité des choses. Cette opération mentale s’opère avec la sécurité et la rapidité d’un instinct, et par conséquent est dépouillée de tout phénomène de conscience. Toutefois, et les mots manquent ici pour exprimer des actes de la vie intime sur lesquels l’attention psychologique ne s’est jamais tournée, le sensorium doit faire un effort tantôt plus grand, tantôt moindre, pour mêler les deux impressions causées par un objet; cet effort diminue quand l’objet s’éloigne, et augmente quand il se rapproche. Ce sont indubitablement les variations de ce travail cérébral qui nous donnent le sentiment des distances.

Matériellement, physiologiquement, les deux images rétiniennes