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enfin qu’il en a quelques-uns qui lui sont propres. Il n’y a rien de parfait, rien d’achevé dans la nature, et l’homme ne fait pas exception à cette règle universelle. Nos organes sont des instrumens à la fois admirables et grossiers. On sent dans toutes les œuvres de vie l’effort et la gaucherie des forces créatrices; c’est par une lente évolution que les formes et les structures se complètent, se perfectionnent; les organes des sens sont comme des milieux placés entre la pensée et le monde, milieux encore troubles, obscurcis, trompeurs souvent, et pareils à des miroirs infidèles.


II.

Nous avons étudié l’œil comme instrument optique : il reste à l’examiner comme organe de sensibilité. Les images vont se former sur la rétine, mais quelles impressions naissent de ces images? Comment concourent-elles à nous donner connaissance du monde extérieur, des formes, des distances et des qualités des objets? Jamais problème plus difficile ni plus complexe n’a été soumis à l’examen de la science et de la philosophie. L’importance de la question se comprend tout de suite, car les impressions visuelles sont, pour ainsi dire, l’étoffe principale de toutes les observations humaines. C’est par les yeux bien plus que par les mains que nous possédons le monde, c’est par les yeux que nous nous détachons de la terre, c’est par les yeux enfin que nous percevons cette qualité précieuse et charmante de la couleur. Les images visibles sont l’alphabet de la langue mystique que parle le monde, ce sont les signes, les symboles, à travers lesquels notre raison découvre les entités corporelles. Si l’œil n’était capable de saisir entre ces signes, entre ces dehors, et les réalités matérielles quelques rapports constans, nous ne pourrions plus nous reconnaître au milieu de tant d’objets divers, et, jouets d’une perpétuelle illusion, nous verrions le monde sans y rien comprendre. Il importe donc de rechercher avec soin quels sont les caractères de l’œil en tant qu’organe sensitif, et quelles relations s’établissent entre nos impressions et l’objet qui les détermine.

Il serait au moins singulier que l’œil fût un instrument optique assez grossier et en même temps un instrument de sensibilité d’une délicatesse achevée. Il s’opère toujours dans les œuvres vivantes une sorte d’accommodation qui mesure l’imperfection des organes à l’imperfection de la sensibilité. Le nerf optique ne se distingue point à cet égard des autres parties du système nerveux. On sait que les nerfs ont dans le corps humain des fonctions très diverses; suivant l’organe où ils sont logés, ils accomplissent les ouvrages les plus dissemblables : ici ils remuent les muscles, ailleurs ils