Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/718

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

point excitées directement, elles sont aussi insensibles aux vibrations lumineuses que toute autre partie du corps humain. Les cônes seuls ont la propriété de transformer ces vibrations en un mouvement qui se communique au nerf optique et par celui-ci au cerveau, où se produit la sensation, car il faut bien se rappeler toujours que la sensation est l’œuvre non du nerf optique, mais du cerveau : si l’œil est enlevé, il suffit de pincer, de galvaniser, d’irriter d’une façon quelconque le nerf optique pour produire une sensation lumineuse. L’activité de ce nerf, mise en jeu par n’importe quel moyen, se traduit dans la matière cérébrale par certains changemens qui accompagnent toujours la sensation lumineuse.

C’est parce que les cônes sont les appareils rétiniens qui opèrent la conversion de la vibration éthérée en courant nerveux que la tache jaune est le lieu de la vision par excellence : c’est là en effet que ces petits appareils sont le plus resserrés. Il y a au contraire aux environs de ce point une région rétinienne assez étendue où ils font défaut : c’est le punctum cœcum, le point aveugle de l’œil. On peut s’étonner que dans un appareil fait pour recevoir la lumière il y ait une partie tout à fait aveugle. On s’en assure cependant par une expérience des plus simples. Dessinez sur une feuille de papier blanc une petite croix, et à six centimètres environ de distance horizontale du côté droit faites une tache noire circulaire de la grandeur d’un pain à cacheter. Fermez l’œil gauche et regardez la petite croix avec l’œil droit. Approchez alors lentement le papier de l’œil, et à un certain moment, quand il s’en trouvera environ à deux décimètres, le cercle noir disparaîtra comme par enchantement; continuez à approcher encore le papier : le cercle demeurera quelque temps invisible, mais il apparaîtra de nouveau quand le papier se trouvera tout près de l’œil. Cela vient de ce que pendant quelque temps la tache noire aura son foyer dans la partie aveugle de la rétine, placée juste au point où les fibres nerveuses réunies en faisceau s’enfoncent dans l’intérieur du cerveau. Cette région rétinienne n’est pas sans importance. Elle est assez grande pour dérober dans le ciel à la vision un espace ayant onze fois l’étendue de la lune[1].

L’expérience fut faite pour la première fois par Mariotte ; sur ses indications, le roi d’Angleterre Charles II et ses courtisans apprirent à se voir les uns les autres sans tête, en se tenant à une distance convenable et en fermant un œil : plaisanterie qui ne laissait pas d’être assez funèbre à la cour du fils de Charles Ier. Il ne

  1. La tache obscure embrasse dans le champ visuel un espace qui répond horizontalement à un angle de degrés, et verticalement à un angle de 12 degrés.