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expressions simples et non figurées qui fourmillent dans le Véda, on s’aperçoit que cette synthèse, dont l’Etre absolu est le centre, a été précédée d’une analyse et d’une vue distincte des phénomènes du monde. Que ce travail ait duré longtemps, c’est ce dont on ne peut douter, car non-seulement les hymnes indiens que nous possédons comprennent une étendue de plusieurs siècles, mais ils font souvent allusion à des doctrines, à des conceptions idéales et à des rites dont ils attribuent l’invention à des ancêtres fort reculés. Ces livres ne sont donc pas absolument primitifs : la phase de science qu’ils représentent n’a pas été la première, et l’on est en droit d’en supposer d’autres dont il ne reste ni monumens ni souvenir. Le premier coup d’œil de l’homme sur la nature nous échappe; nous ne pouvons en avoir quelque idée que par le moyen de cette loi qui introduit dans la pensée humaine une part de plus en plus grande d’analyse, et la fait sortir de la synthèse primordiale où le monde et elle-même étaient enveloppés.

Ainsi de même que toutes les formes de la vie procèdent d’une cellule qui les renferme en puissance dans une indivisible synthèse, et d’où elles sortent ensuite par une division spontanée comparable à une analyse, de même les œuvres de l’esprit se sont déployées tour à tour suivant un mode uniforme en vertu d’un principe rationnel toujours le même. Si nous considérons nos sciences comme plus avancées que celles de l’antiquité, ce n’est pas qu’elles soient plus vraies qu’elles, c’est qu’elles sont plus analytiques; mais déjà celles de l’antiquité grecque, au point où elles étaient par exemple à l’époque des Antonins, étaient plus avancées que celles des Aryas de l’Asie, parce qu’elles avaient poussé beaucoup plus loin l’analyse et l’étude des conditions métaphysiques des phénomènes de la nature. Au fond, la somme de vérité que contient une période scientifique est toujours la même; la différence vient uniquement de l’état où la vérité se présente à l’esprit. De même il y a autant de vie dans un enfant que dans un homme fait, et dans l’œuf que dans l’oiseau, le mammifère ou le poisson; s’il en était autrement, jamais l’œuf ne deviendrait un animal : la différence consiste dans l’état de développement plus ou moins complet, c’est-à-dire d’analyse, où les forces vitales contenues dans l’œuf sont parvenues.

Si la théorie sacrée des Aryas est la forme que la science a revêtue dans sa phase asiatique, il s’ensuit que la religion est vraie au même titre que la science, et que, si elle est fausse, cette dernière l’est aussi. L’objet est le même, la méthode est la même, les procédés seuls sont plus ou moins parfaits; la religion a dû énoncer par des formules très simples et très compréhensives précisément ce que la science énonce en formules plus variées, plus nom-