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dans toute leur plénitude, la théorie métaphysique qui a pour base l’unité de Dieu, c’est-à-dire de la substance, de l’acte créateur et de la loi, apparaît au milieu d’un peuple et y devient ce qu’on a appelé religion ; tout le reste, c’est-à-dire le culte et les symboles, y est la conséquence et l’expression de cette théorie.

Le lecteur accoutumé aux spéculations de la philosophie n’aura aucune peine à comprendre et à admettre que la méthode d’où la religion est née est précisément celle que la science a constamment suivie et qu’elle suivra toujours, car les méthodes de l’esprit humain ne sont ni nombreuses ni variées. Si l’on omet les méthodes mathématiques uniquement applicables à des abstractions et qui ne peuvent nous faire découvrir à elles seules ni la substance des êtres, ni les causes des phénomènes, les autres procédés de l’esprit se réduisent à ceux que nous venons de décrire. C’est à l’emploi régulier et exclusif des deux premiers, seuls suivis dans les sciences d’observation, que sont dus les progrès accomplis dans les temps modernes en physique, en chimie, dans toutes les parties des sciences naturelles, et enfin dans cette connaissance des modes et des lois de la pensée humaine qu’on a improprement nommée psychologie. Le troisième procédé de l’esprit est propre à la métaphysique : c’est par lui surtout que la science se rapproche de la religion. Dieu en effet n’est point observable et n’est pas non plus une abstraction : en général, l’observation n’atteint jamais ni la réalité, ni l’être, elle atteint seulement leurs formes, leurs apparences, leurs modes passagers. La moindre notion de philosophie et la plus simple réflexion nous disent que ni la chimie ni l’anatomie ne nous dévoilent la nature intime des corps ou des êtres vivans. Qu’on les divise autant qu’on le pourra, leurs parcelles les plus ténues ne se voient jamais que par le dehors et ne laissent rien apercevoir de la substance qui les constitue. Lors donc qu’un homme avance une opinion sur cette dernière, il fait acte de métaphysicien, et n’est plus en cela ni chimiste, ni naturaliste. Il en est de même du psychologue : quelque spiritualiste qu’il se prétende, son esprit n’a cependant pas le pouvoir de saisir en lui-même sa substance nue; il ne perçoit que les phénomènes de sa pensée et voit, lui aussi, son âme en quelque sorte par le dehors. Les actes de la volonté, où quelques-uns croient saisir leur propre substance, n’échappent pas à cette règle, car ces actes ne vont pas jusqu’à créer des êtres, et tout notre pouvoir s’épuise à produire des phénomènes. S’il en était autrement, dans cet acte de conscience qui sert de point de départ à la psychologie nous saisirions la substance absolue et nous serions Dieu, ce qui est insensé. La psychologie n’a donc rien de commun avec la métaphysique. Celle-ci se compose d’un ordre à part de conceptions très