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deviner à travers une demi-transparence les formes qu’ils recouvraient ; c’est de là qu’arrivaient aussi ces superbes étoffes enrichies, suivant le goût oriental, d’or et de pierreries, et qui firent fureur à Rome sous les empereurs.

Quand survinrent les premiers triomphes du christianisme, les tissus asiatiques ne furent pas pour cela délaissés. Ils servirent à rehausser la pompe dont le culte commençait à s’entourer. On en drapa l’autel, on en revêtit les officians, afin de frapper par la magnificence des ornemens du temple l’imagination des fidèles. On ignorait encore à ce moment l’art de les fabriquer. Ce n’est qu’au VIe siècle qu’un hasard heureux mis à profit par un souverain habile décida de l’introduction de la sériciculture à Byzance, de là en Grèce et sur les côtes orientales de la Méditerranée. L’Espagne ne la connut qu’au VIIe siècle, après la conquête arabe. Ce sont deux moines de l’ordre de Saint-Basile qui dotèrent l’Europe des premiers œufs, ou, comme on dit dans les magnaneries, des premières « graines » de ver à soie. Ils avaient poussé leurs excursions évangéliques jusqu’en Chine, jusqu’au pays des Sères, ainsi qu’on appelait alors le berceau de la sériciculture. Les observations qu’ils y avaient recueillies sur la chenille du mûrier, dès qu’elles furent connues à Constantinople, y firent un certain bruit. C’étaient les premières données positives qu’on possédât sur les beaux et mystérieux tissus de l’extrême Orient. L’empereur Justinien fit appeler les deux moines, leur fit raconter ce qu’ils avaient vu, et les renvoya en Chine avec ses instructions. Ils y arrivèrent en effet sans encombre, et parvinrent à se procurer quelques œufs de ver à soie. Il s’agissait de les faire sortir du Céleste-Empire ; le tenter, c’était braver la mort. À l’un des bouts de leur bâton de voyage, ils pratiquèrent une cavité suffisante pour contenir leur petite provision de graines de vers à soie, et ils recouvrirent l’orifice de cette cachette d’une rondelle de bois qui la dissimulait exactement. C’est ainsi que les œufs qui devaient propager en Occident une de nos plus belles industries franchirent les frontières chinoises. Au XIIe siècle, cette industrie, déjà florissante en Grèce, n’avait pas pénétré en Italie. Ce furent Roger II et le comte Dandolo qui, au retour d’une expédition à Constantinople, l’introduisirent à la fois au midi et au nord de cette péninsule, le premier en Sicile, le second à Venise. De ces deux points extrêmes, elle gagna rapidement toute l’Italie.

La France ne s’y adonna que plus tard, et c’est d’au-delà des Alpes qu’elle nous vint. Cette exploitation, qui devait dans notre pays devenir si prospère, y eut des commencemens obscurs. Certains auteurs prétendent qu’elle s’introduisit dans le Comtat-Ve-