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prématurées qu’elle avait fait concevoir, et l’on s’est toujours heurté à des difficultés qu’on n’a pu ni surmonter ni tourner. Sans doute les élémens de la soie se rencontrent tous dans la feuille que mange le bombyx mori. L’oxygène, l’hydrogène, l’azote, le carbone, qui constituent le précieux filament, c’est là qu’il les puise ; mais il les met en œuvre par une sécrétion organique, il élimine certains corps, en modifie d’autres, et fabrique dans l’intérieur de ses organes digestifs les principes immédiats auxquels la soie doit ses propriétés spéciales. Pendant la digestion, son corps est le siège de réactions nombreuses, compliquées, obscures, opérées sous l’action de causes qui ont échappé jusqu’à présent à l’analyse et à l’imitation de l’homme. Nous avons bien pu reproduire artificiellement certains composés chimiques dits organiques, nous avons bien pu fabriquer du sucre de raisin, de l’urée, des corps gras, des essences odorantes ; nous n’avons pu créer encore ni un tissu adipeux, ni une fibre musculaire, ni une fibrille végétale, ni même un granule de fécule amylacée, le plus élémentaire des organismes, qui, étudié au microscope, ne se résout pas moins en dix ou quinze couches concentriques d’un même principe immédiat. À plus forte raison n’a-t-on pas pu encore fabriquer la sécrétion animale autrement complexe qui se nomme la soie. On n’a guère été plus heureux quand on a essayé de recueillir et de dévider mécaniquement la sécrétion soyeuse qui s’accumule dans les glandes séricifères de la chenille avant qu’elle ne fasse son cocon. Cette idée a été suggérée par l’invasion des maladies qui, atteignant les vers à soie déjà entièrement développés, les empêchent de construire le nid de leur chrysalide. On a voulu du moins tirer de leurs cadavres tout ce qu’ils contenaient de soie à demi élaborée. On est parvenu ainsi à faire pour les ustensiles de pêche des fils plus longs et plus résistans que les crins employés auparavant au même usage. On en a confectionné aussi des cordes harmoniques qui paraissent pouvoir remplacer les intestins de mouton avec lesquels les fabricans de Naples et des Abruzzes, auxquels il faut aujourd’hui joindre leurs habiles émules de Paris, approvisionnés des intestins que fournissent nos petits moutons d’Auvergne, ont accaparé la clientèle de tous les luthiers de l’univers. On avouera que c’est là un résultat assez médiocre. Pourtant c’en est un, et en pareille matière ces embryons de découvertes ont un intérêt qu’il convient de ne pas dédaigner. Quoi qu’il en soit, la matière première des riches tissus de soie ne doit être demandée, dans l’état présent de nos moyens de fabrication, qu’aux industrieux insectes qui la fournissent depuis plus de deux mille ans aux nations civilisées.

C’est à cette époque reculée que l’on fait remonter la première