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vingts chambres syndicales formées ainsi par les patrons, et ces diverses chambres ont même constitué entre elles un comité central, qui se trouve représenter librement les intérêts généraux du commerce. Les ouvriers demandent à pouvoir faire entre eux ce que les patrons ont fait de leur côté, et le ministre des travaux publics a déclaré récemment que leur initiative à cet égard ne serait gênée d’aucune façon. Les lois sur la matière ne sont pas tendres pour les syndicats : les principes en ont été posés par l’assemblée constituante, qui venait d’abolir les jurandes et les maîtrises, et qui avait vu de près les abus engendrés par le régime des corporations; mais il y a manière d’appliquer les lois et surtout de ne pas les appliquer. Les chambres syndicales formées par les négocians de Paris ont instamment demandé à ne pas être reconnues par le gouvernement. Être reconnues, pour elles, c’était recevoir un président de la main du ministre. Elles ont évité cet honneur, et sont restées libres de toute attache officielle. Elles n’en ont pas moins conquis une grande autorité, et non-seulement elles règlent les différends de leurs membres respectifs, mais elles reçoivent souvent des tribunaux de commerce le soin d’instruire les affaires litigieuses, ou de les terminer par voie amiable. Enfin leur voix est écoutée concurremment avec celle des chambres de commerce, dont elles sont en quelque sorte les libres émules. Tel est l’exemple que les ouvriers ont invoqué et qu’ils peuvent suivre maintenant sans obstacle. L’administration les laisse maîtres d’organiser à leur façon leurs institutions syndicales[1].

Les ouvriers français n’oublieront pas sans doute que le premier principe de pareilles institutions doit être de. respecter entièrement la liberté des citoyens. Chacun doit être libre de rester, s’il le veut, en dehors des syndicats. Si quelques-uns montraient une tendance à violenter les dissidens, on pourrait leur rappeler, pour leur faire haïr la violence, les faits odieux dont l’Angleterre et avec elle le monde civilisé ont été récemment émus. Un esprit fâcheux s’est manifesté parmi les unions de métiers qui existent en grand nombre de l’autre côté du détroit. Dans certaines localités, notamment à Sheffield, les comités directeurs ont élevé la prétention de soumettre à leurs lois tous les ouvriers et d’empêcher par la contrainte toute dissidence. Ceux qui refusaient d’entrer dans l’union de leur métier, ceux qui allaient travailler dans les ateliers mis en interdit,

  1. Plusieurs délégués expriment le désir que les chambres syndicales des patrons et celles des ouvriers se réunissent pour former des syndicats mixtes qui auraient des fonctions à peu près analogues à celles des prud’hommes. La liberté étant entière de part et d’autre, du côté des patrons comme du côté des ouvriers, rien n’empêche que des essais de ce genre soient tentés d’un commun accord entre les intéressés.