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la nomination officielle de présidens toujours choisis parmi les chefs d’industrie. Le ministre dût-il même, pour répondre à cet argument, confier dans certains cas la présidence à des ouvriers, le principe électif n’en resterait pas moins vicié par cette ingérence administrative. Sans doute les délégués n’ont pas tort, mais il y a peu de chance pour qu’on leur donne raison, car ici ils viennent se heurter contre une pratique que le gouvernement actuel élève à la hauteur d’une maxime d’état. L’empire attache une extrême importance à nommer les présidens de tous les corps élus, depuis les plus humbles jusqu’aux conseils-généraux et au corps législatif. Il maintient ce privilège avec un soin jaloux. Ce qu’il y a de contradictoire dans un pareil usage n’a pas besoin d’être signalé. On obéit à deux principes diamétralement opposés quand d’une part on fait élire un conseil, et que de l’autre on en nomme le président. Il s’agit dans le premier cas de suivre l’opinion, dans le second de la diriger; ce sont deux choses fort différentes. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas d’apparence que les délégués obtiennent satisfaction sur ce point, et qu’on commence à se départir à l’occasion des prud’hommes d’une règle qu’on a jusqu’ici observée avec tant de rigueur.

L’établissement de chambres syndicales est de la part des ouvriers l’objet de désirs anciennement manifestés; on en trouve déjà l’expression dans les rapports de 1862. Ils veulent former dans chaque corps de métier une association et nommer des représentans chargés de débattre leurs intérêts avec les patrons. Ils espèrent que beaucoup de froissemens pourront être ainsi évités, et que les grèves deviendront plus rares. Mieux vaut, quand des difficultés s’élèvent, voir les négociations conduites par des mandataires désignés d’avance et moralement responsables envers leurs camarades que par des meneurs qui se mettent en avant au jour de l’effervescence, et qu’on peut appeler, suivant une locution à la mode, des « individualités sans mandat. » Les ouvriers ont d’ailleurs sous les yeux le spectacle d’un grand mouvement qui s’est produit ces dernières années parmi les chefs de l’industrie parisienne. Dans un grand nombre de professions, les négocians ont formé entre eux des associations syndicales qui sont maintenant florissantes. L’association ou syndicat reçoit tous ceux qui veulent en faire partie, et nomme une chambre pour la représenter et la diriger. Le commerce des vins, les industries qui se rattachent à la construction des maisons et aux entreprises de travaux publics, celles qui ont pour objet la fabrication ou la vente des tissus, sont entrées successivement dans cette voie; beaucoup d’autres ont suivi. Un négociant de Paris, M. Isidore Carlhian, a été le principal instigateur de ce mouvement. On compte aujourd’hui à Paris plus de quatre--