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teindre le but qu’il désire, et blesserait trop vivement le grand principe de la liberté du travail, qui doit être maintenant au-dessus de toute discussion.

Le travail des enfans est l’objet de plaintes plus légitimes de la part des délégués. A cet égard, il n’y a qu’un cri parmi eux, et leurs rapports sont pleins de lamentations généreuses sur la triste condition des apprentis. L’apprenti fait des journées d’homme, des journées de dix, de douze, de quinze heures, malgré la loi du 22 mars 1841, qui limite à huit heures le travail de l’enfant. Ses forces sont ainsi épuisées prématurément, et il se trouve dans l’impossibilité absolue d’aller à l’école. Si du moins il apprenait son métier! Mais, occupé à quelques travaux accessoires auxquels son agilité le rend propre, il reste étranger à l’ensemble des procédés de sa profession, et il devient adulte sans avoir appris à gagner sa vie. Il y a bien une loi du 22 février 1851 sur les contrats d’apprentissage; elle oblige les patrons à surveiller et à rendre complète l’instruction professionnelle des jeunes garçons qu’ils emploient; mais cette loi est complètement tombée en désuétude. Aussi les délégués, d’un accord unanime, regrettent-ils l’ancien règlement, ou tout au moins l’ancienne pratique des vieilles corporations d’avant 1789. Un édit sévère et sévèrement contrôlé par les jurés de chaque communauté obligeait les patrons ou maîtres ouvriers à n’avoir qu’un apprenti pour quatre ouvriers et à en parfaire l’éducation en quatre ou cinq années. On ne connaissait pas alors « ces fabriques où sont enfermés des enfans, parmi lesquels il y en a qui n’ont pas encore sept ans, travaillant onze et douze heures par jour, privés d’air et portant déjà sur leurs traits la trace des privations et des souffrances, se nourrissant tout le jour avec un sou, vêtus l’hiver comme l’été, étrangers à toute notion du bien, se plaisant dans le désordre, et n’ayant pour exprimer leurs sentimens ou leurs pensées qu’un assemblage d’expressions grossières et dépravées formant un langage aussi indéchiffrable que repoussant. » On pourrait, au point de vue de l’art, demander grâce pour l’argot du gamin de Paris. Aussi bien la cause des apprentis paraît depuis quelque temps gagnée devant l’opinion publique. Parmi les voix éloquentes qui l’ont plaidée avec succès dans ces derniers temps, celle de M. Jules Simon s’est fait entendre avec une généreuse obstination. Bref, on annonce qu’une nouvelle loi sera soumise dans la prochaine session au corps législatif pour remplacer la loi de 1841, devenue insuffisante. La journée de l’apprenti serait réduite à six heures ou même à cinq heures et demie; le patron serait tenu, sous sa propre responsabilité, de l’envoyer à l’école pendant deux heures; enfin la protection légale atteindrait