Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/608

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

doctrines de l’économie politique, » il n’est pas difficile d’y reconnaître en permanence bien des germes d’agitation. Il y a là une force immense dont on entrevoit quelques effets, dont on entend le sourd retentissement, et sur laquelle les pouvoirs sociaux n’ont qu’une bien faible prise. Que faut-il en espérer? Que faut-il en craindre? Les ouvriers sont-ils contens, ou du moins ne sont-ils pas trop mécontens de leur sort? Telles sont les questions qui se dressent devant nous. Voyons donc ce que disent à cet égard et ce que demandent les ouvriers par l’organe de leurs délégués.

Les 354 délégués de l’industrie parisienne, en même temps qu’ils remplissaient leur mission spéciale, se sont réunis seize fois, dans l’espace de trois mois, en assemblées générales pour discuter les intérêts des populations ouvrières. Ils ont admis dans ces assemblées les envoyés de quelques grandes villes, comme Lyon et Bordeaux; ils y ont admis aussi des femmes pour traiter des questions qui intéressent le travail féminin. Nous n’avons pas les procès-verbaux de ces séances, nous n’en connaissons même pas les résultats, au moins sous une forme précise, car les délégués, avec une prudence qui a présidé à tous leurs actes, se sont abstenus d’exprimer collectivement leurs vœux. Après la délibération commune, chacun est resté maître d’insérer dans son rapport les demandes qui lui paraissaient opportunes. On peut d’ailleurs extraire facilement de l’ensemble de leur travail les idées et les-vœux qui présentent un caractère général. C’est ce qu’a fait, dans un rapport adressé à l’empereur le 8 mars dernier, M. Devinck, président de la société d’encouragement, et le ministre des travaux publics a de son côté adressé un autre rapport à l’empereur sur le même sujet à la date du 30 mars. Les demandes des délégués sont pour la plupart modérées dans le fond et dans la forme. Les relations des ouvriers avec la commission d’encouragement ont été des plus amicales; cette circonstance n’a pas été sans influence sur la rédaction des rapports. On y trouve une grande variété de tons, et l’humeur spéciale des différens rédacteurs s’y manifeste librement; mais on y remarque aussi comme un souffle d’apaisement qui éteint les griefs et tourne les esprits à l’espérance.

On appréciera surtout le bon sens des délégués parisiens, si l’on compare leurs idées aux votes émis par le congrès qu’a tenu le mois dernier à Bruxelles l’Association internationale des travailleurs. Le congrès de Bruxelles se prononce pour la propriété collective, c’est-à-dire pour le communisme. Comme Proudhon dans ses plus beaux jours, il déclare illégitime toute rente attribuée au capital : des banques d’échange doivent suffire à nourrir la production. En prenant à son compte cette vieille rhétorique du socia-