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sommes amené à la question des récompenses, nous pouvons dire qu’elle nous paraît la partie faible des expositions; elle offre même un côté grotesque. En mettant à part quelques travaux qui se placent d’eux-mêmes et sans conteste aux premiers rangs, il n’y a guère pour la foule des produits de classification possible. Tout se réduit alors à une pluie de médailles et de mentions qu’on s’attache à rendre aussi abondante que possible. Le procédé des jurys ressemble trop à celui de ces chefs d’institution qui distribuent d’une main large un nombre considérable d’accessits pour encourager leurs élèves et surtout les parens de leurs élèves. On nous dira que les hommes comme les enfans sont sensibles aux récompenses, et que depuis l’origine du monde on se sert de couronnes pour exciter leur zèle. Il y a des degrés en tout, et il nous semble évident que les jurys d’exposition pourraient s’épargner dans une forte mesure le travail de classification auquel ils s’astreignent; nous parlons du travail qui consiste à médailler ou à mentionner les personnes, car pour ce qui est de mettre en lumière et de propager tous les procédés industriels qui offrent quelque intérêt, c’est là la partie essentielle de leur tâche, et le jury international de 1867 vient de la remplir avec distinction en publiant les douze volumes qui contiennent l’ensemble de ses rapports.

Les délégués ouvriers estiment que l’exposition de 1867 a établi la supériorité du travail français dans presque toutes les branches de l’industrie, ils montrent à cet égard une sorte d’amour-propre national qui les entraîne souvent à des jugemens injustes. Entre autres raisons qui expliquent cette particularité, nous en voyons deux qui se manifestent fréquemment dans leurs rapports. D’abord l’ouvrier, — et on ne peut lui en faire un reproche, — ne juge que ce qu’il voit; il ne se rend pas toujours compte de la valeur industrielle de certains pays qui n’ont pas pris soin de se faire suffisamment représenter dans plusieurs genres de travail; nous pourrions à cet égard citer la Prusse et la Belgique. L’ouvrier forme strictement son opinion d’après les envois qu’il a sous les yeux, et c’est tant pis pour les absens, pour ceux dont les envois ne sont pas en rapport avec l’état industriel de leur pays. Il y a donc lieu de rectifier les opinions des délégués par celle des gens que leurs voyages ou leurs études générales ont mis au courant de la véritable situation des industries européennes. Voici maintenant un motif d’un tout autre ordre qui influe sur le jugement des délégués, quelquefois à leur insu, mais dont ils laissent voir souvent la trace. La concurrence étrangère est le grand argument des patrons pour résister à l’augmentation des salaires. Quand l’ouvrier se plaint de n’avoir pas assez pour vivre, on lui répond qu’il faut lut-