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mettent ces Italiens dans leurs préparatifs militaires[1] pour faire supposer quelque trame? Cette considération l’emportait sur toutes les autres dans le jugement des hommes politiques de la Prusse, et il est aisé de constater l’ascendant croissant du parti de M. de Gerlach dans les conseils du vieux Hohenzollern pendant cette courte période. L’influence de ce parti est visible dans maintes mesures et démarches qui signalèrent la fin du mois d’avril et les trois premiers jours du mois suivant, elle éclate d’une manière indubitable dans cette réponse donnée le 2 mai au général La Marmora, à la suite de laquelle le général lui-même prenait le lendemain l’engagement officiel de ne pas attaquer l’Autriche, engagement que M. Rouher vint lire à la tribune. M. d’Usedom faisait entrevoir alors la démission de M. de Bismarck; les correspondances parlaient de son état souffrant, et, si sujettes à caution que soient d’ordinaire les nouvelles de la santé de ce ministre, on peut comprendre du moins pourquoi à ce moment il était malade.

Telle était la situation encore le 3 mai 1866, lorsque trois jours après des paroles augustes prononcées dans un chef-lieu départemental de France et connues aussitôt dans tous les coins du monde vinrent changer subitement le courant et remettre en mouvement la grande machine politique qui avait commencé à se ralentir. Dans un discours adressé au maire de la ville d’Auxerre, l’empereur Napoléon III déclarait « détester, comme la majorité du peuple français, ces traités de 1815 dont on voudrait faire aujourd’hui l’unique base de notre politique extérieure... » Une telle déclaration, lancée dans un pareil moment, n’avait pas besoin de commentaire; « c’était un coup de canon tiré au milieu de l’Europe, » ainsi que s’exprimait une feuille, alors très dévouée à la Prusse. Il y eut cependant des commentaires, et, comme il arrive souvent, ils allèrent bien au-delà de la pensée de l’auteur. On voulut voir dans le discours d’Auxerre une modification notable du programme suivi jusqu’à ce moment, et que le ministre d’état avait cru encore tout récemment pouvoir résumer en ces trois termes : « politique pacifique, neutralité loyale, entière liberté d’action; » on voulut voir dans ce cri d’imprécation contre les traités de 1815 l’indice de la conclusion de traités tout modernes « fondés sur des bases nouvelles et sur la communauté des principes, » ainsi que s’était exprimé M. Pepoli, — l’indice en un mot d’une alliance directe et offensive avec la Prusse et l’Italie. Il ne manquait pas en effet dans les conseils du gouvernement des hommes qui auraient désiré faire aboutir jusqu’à

  1. « La défiance était générale à Berlin contre les intentions d’une puissance voisine, et cela d’autant plus qu’on savait positivement qu’à ce moment (fin avril) l’Italie n’avait encore pris aucune mesure sérieuse pour la guerre. » Relation de l’état-major de Prusse sur la campagne de 1866.