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étonnera le monde par l’immensité de son tir. Lui-même, M. de Bismarck, n’avait-il pas exprimé déjà l’année passée sa ferme conviction devant M. de Pfordten « que l’Autriche n’était ni armée ni en état de s’armer, et qu’il suffirait d’une seule grande bataille du côté de la Silésie pour réduire le Habsbourg?... » Ce n’en était pas moins risquer le tout pour le tout, exposer la monarchie de Brandebourg à une ruine possible, jouer gros jeu, pour parler le langage populaire; aussi la légende populaire au-delà du Rhin n’a-t-elle pas manqué depuis de prêter à M. de Bismarck le trait caractéristique de tout ponteur hasardeux, et de raconter que pendant la campagne de Bohême il a toujours porté un pistolet chargé dans sa poche. La légende prétend même qu’il y eut un moment à Sadowa, — ce moment court, mais terrible, qui sépara la déroute presque achevée du prince Frédéric-Charles de l’arrivée secourable du prince de Prusse, — où le joueur désespéré avait déjà approché le pistolet de son front, — ce front large et chauve sur lequel le dieu grand, le dieu unique de notre siècle, le succès, devait bientôt imprimer le sceau de l’immortalité...


IV.

Le 22 janvier 1866, trois mois après l’entrevue de Biarritz, l’empereur Napoléon III constatait, dans le discours du trône adressé aux chambres françaises, qu’au dehors la paix semblait assurée partout et que les relations de la France avec toutes les puissances étaient amicales. « A l’égard de l’Allemagne, ajoutait-il, mon intention est de continuer à observer une politique de neutralité qui, sans nous empêcher parfois de nous affliger ou de nous réjouir, nous laisse cependant étrangers à des questions où nos intérêts ne sont pas directement engagés. » Quatre jours après cette déclaration impériale, M. de Bismarck ouvrait sa seconde campagne contre l’Autriche, la campagne de « fer et de sang, » par une dépêche au baron Werther qui jugeait sévèrement la conduite du cabinet de Vienne au point de vue des principes conservateurs. L’homme qui devait bientôt bouleverser l’Europe, déchirer le pacte fédéral de l’Allemagne, détrôner des rois, former une légion insurrectionnelle en Hongrie et demander à lancer Garibaldi en Dalmatie pour y soulever les populations slaves, ce même homme débutait, en ce mois de janvier 1866, par dénoncer l’esprit jacobin de la maison de Habsbourg : elle fomentait l’anarchie et protégeait la révolution dans les duchés !

Dans ces duchés en effet, la conduite de l’Autriche ne laissait pas de différer gravement de celle qu’y tenait la Prusse depuis la