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de la cour de Berlin, de mettre même fin aux dissensions intestines de l’Allemagne; c’était arrêter Guillaume Ier dans la poursuite de l’ombre de Barberousse que de lui insinuer de lâcher une proie quelconque, ancienne ou nouvelle. Mieux valait ne rien demander, ne rien promettre, ne rien compromettre. A quoi bon du reste exiger des billets d’un insolvable, prendre des sûretés envers quelqu’un dont le sort paraît si peu assuré, et que, selon toutes les probabilités, on aura bientôt à protéger, à défendre contre les conditions trop dures que voudra lui faire le vainqueur ?

Car, bien entendu, la France ne comptait pas s’abstenir jusqu’au bout : elle devait sortir de l’inaction à son heure et à ses convenances, alors que l’affaiblissement réciproque des deux adversaires les aurait rendus accessibles aux conseils d’une raison haute et impartiale, alors aussi que des victoires trop décisives de l’un d’eux (et ce ne pourrait guère être que l’Autriche) menaceraient « de rompre l’équilibre et de modifier la carte de l’Europe au profit d’une seule puissance[1]. » À ce moment opportun, l’empereur Napoléon III interviendra en juge du camp et en protecteur du droit pour réformer, régénérer la confédération germanique, l’asseoir sur des bases plus solides et selon un plan plus conforme aux aspirations nationales de l’Allemagne, — car ce n’est pas la première fois, hélas! que la politique française commence par proposer une bonne confédération là où elle finit par subir une mauvaise unité. On proposera un arrangement également acceptable, également équitable pour l’Autriche, pour la Prusse et les états secondaires. La monarchie de Brandebourg pourra bien perdre, par exemple, la Silésie, ce pays catholique et ancien patrimoine des Habsbourg, elle devra aussi renoncer aux provinces catholiques du Rhin, situées trop en dehors de son orbite naturelle ; mais elle recevra en échange de vastes territoires protestans sur l’Elbe et la Baltique, elle acquerra par là « plus d’homogénéité et de force dans le nord, » et n’aura plus « une situation géographique mal limitée.» « On maintiendra à l’Autriche sa grande position en Allemagne, » cela s’entend, et le retour de la Silésie sera pour l’empereur François-Joseph une ample compensation de la province vénitienne, qu’il cédera au roi Victor-Emmanuel. Pour les états secondaires de la confédération, on leur assurera « une union plus intime, une organisation plus puissante, un rôle plus important, » sans négliger aussi de médiatiser à leur profit plusieurs des petits princes inutiles, et en leur adjoignant peut-être, comme nouveau membre du

  1. Lettre de l’empereur à M. Drouyn de Lhuys du 11 juin 1866. C’est aussi à cette lettre que sont empruntées les citations qui suivent.