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cation des destinées étranges qui ont été faites à l’Europe par cette mystérieuse entrevue. Or, parvenus à ce moment de notre récit, aux derniers jours du mois de septembre 1865, nous rencontrons précisément deux publications remarquables, deux signes du temps, dont il nous est impossible de ne pas tenir un compte très sérieux. Partis simultanément des deux camps différens, quoique nullement opposés et également influens, ces deux manifestes sollicitent l’attention de l’investigateur, et s’imposent avec force à son esprit. Combinées, confrontées entre elles, lues surtout à la lumière des événemens qui suivirent, ces pièces germaines acquièrent une valeur très grande, et, si elles sont encore loin de nous introduire dans la vérité absolue de la situation, du moins nous placent-elles sur une voie qui pourrait bien y aboutir.

La première de ces publications est une brochure anonyme[1] que lança l’ambassade de Prusse à Paris à la veille de l’arrivée de M. de Bismarck en France et avec l’intention évidente de lui préparer les voies. L’écrit commence d’abord par retracer les dangers que courrait l’Europe, si un conflit sérieux venait jamais à éclater entre la Prusse et l’Autriche. Que d’éventualités menaçantes alors ! « L’aigle blanc de la Pologne est-il si mortellement atteint qu’il ne puisse se ranimer pour une lutte suprême où cette fois il trouverait des appuis déclarés ? La voix de Kossuth retentissant aux rives de la Theiss, en même temps que Garibaldi lèverait sur l’Adige le drapeau de Marsala, n’appellerait-elle pas encore les cavaliers de la Hongrie à une nouvelle guerre d’indépendance ? La révolution est-elle définitivement vaincue en Roumanie, et la paix est-elle irrévocablement assurée dans les provinces danubiennes ? » Chose curieuse, sous la forme oratoire d’interrogations et d’hypothèses, et avec des actions de grâces pour la Prusse d’avoir conjuré ces « éventualités » par la convention de Gastein, nous avons déjà ici tout le programme de 1866, toute la note Usedom ! Sauf « l’aigle blanc de la Pologne, » qu’on se gardera bien de réveiller, et pour cause, on ne négligera, dans l’été prochain, aucune des « éventualités » qu’énumère notre brochure avec une terreur complaisante : on fera son pacte avec l’Italie, on demandera de jeter le vainqueur de Marsala sur les côtes de la Dalmatie, on formera une légion hongroise sous les ordres de Klapka, et quant à la Roumanie, on y aura alors quelque chose de mieux encore que la révolution : on y aura un prince même de Hohenzollern pour hospodar, il sera placé là avec l’aide de la France, en l’honneur des principes modernes et en embuscade dans le dos de l’Autriche… Ces principes modernes, la

  1. La Convention de Gastein. Paris, Dentu, septembre 1865.