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de révoltant, eût soulevé toutes les consciences au-delà du Rhin : seul l’Italien pouvait offrir un appui dont la rançon n’était point un territoire allemand. Le pays entre le Mincio et l’Adriatique ne l’était point, le peuple germain le sentait et le savait bien malgré tout ce que pouvaient lui dire de contraire les écrivains beaucoup trop intéressés de Vienne et certains patriotes transcendans et ultra-chérusques. Or, si jamais l’Italie venait à être désintéressée par l’Autriche, la maison de Hohenzollern perdait l’unique allié possible en dehors de l’Allemagne, l’unique allié avouable. L’hypothèse d’une pareille éventualité dut troubler plus d’une fois le sommeil de l’heureux vainqueur de Gastein.

À cette inquiétude très réelle, bien que lointaine encore, venaient d’ailleurs s’ajouter pour le ministre prussien des soucis moins graves peut-être, mais plus immédiats : l’attitude gardée par les deux cabinets des Tuileries et de Saint-James, la disposition toujours hostile des esprits en Allemagne, enfin les résistances renaissantes de l’Autriche. On s’aperçut de bonne heure à Berlin que la brillante journée de Gastein ne serait pas de si tôt suivie d’autres également faciles et glorieuses, que la cour de Vienne, mise en garde à la fois et rassurée, ne glisserait pas sur la pente si habilement creusée dans le sol rocailleux de Salzbourg ; déjà même on en recevait des preuves affligeantes dans mainte occasion. C’est ainsi que le cabinet impérial, après avoir d’abord consenti à suivre le cabinet de Berlin dans une équipée assez sérieuse contre le sénat de Francfort, faussa tout à coup compagnie (1er octobre 1865), et a chercha à rompre la pointe de cette dé- marche, dont l’effet finit par se réduire à rien, » pour employer les expressions dolentes d’un document officiel prussien[1]. Tout en se plaignant à Florence de la mission diplomatique du représentant de la maison Rothschild, le gouvernement de Guillaume Iern’avait pas dédaigné de recourir de son côté, et précisément vers la même époque, à une proposition financière exactement pareille : il avait fait offrir à Vienne la somme séduisante de 300 millions de francs pour la cession des duchés ; l’offre fut rejetée avec hauteur… La situation s’aggravant ainsi de tous les côtés, M. de Bismarck éprouva le besoin de faire encore une fois le voyage de France, — un voyage d’agrément et d’instruction. Il s’agissait d’y redresser les opinions et d’y convaincre les esprits, de prouver que la convention de Gastein n’avait été ni une trahison ni même une défaillance, qu’elle avait été une halte indispensable, qu’il fallait du temps pour faire l’éducation d’un vieux roi a malheureusement trop honnête » et

  1. Dépêche de M. de Bismarck au baron Werther du 26 janvier 1866.