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encore une fois à la suite des événemens de Gastein, et le gouvernement italien s’y attacha avec d’autant plus d’ardeur que plus vive avait été sa déception du côté de la Prusse. Pour conduire une négociation aussi délicate, ou plutôt pour en préparer le terrain, on choisit cette fois une personne bien appropriée à la circonstance, une capacité financière, un homme étranger du reste à l’Italie, étranger même au corps diplomatique, mais qui n’en pouvait pas moins passer pour le représentant d’une grande puissance véritable, d’une majesté solidement assise et universellement reconnue, — M. Landau, le représentant de la maison Rothschild à Florence. Arrivé à Vienne dans les commencemens de l’automne, le négociateur officieux réussit facilement à y influencer la presse, à obtenir même des organes ministériels plusieurs articles favorables à ses vues. Il serait en rapport avec des personnages considérables, il pénétra jusque dans la Burg, et acquit bien vite la conviction qu’on n’y nourrissait aucune haine contre l’Italie, aucune velléité de reprendre l’ancienne position dans la péninsule; mais il démêla non moins finement que la conservation de Venise était pour les Habsbourg une question d’honneur militaire sur laquelle ils ne transigeraient jamais, si ce n’est réduits par la guerre. Encore à la veille de Sadowa, le gouvernement de Vienne déclarait dans un document remarquable que sa dignité lui défendait de céder une des plus importantes provinces de la monarchie soit devant une pression morale, soit devant une offre d’argent, et qu’il n’admettait qu’un seul cas où il pourrait en faire l’abandon volontaire, le cas, du reste peu désiré, d’une guerre glorieuse pour les armes autrichiennes et favorable à l’extension de l’empire du côté de l’Allemagne[1]

  1. Instructions aux ambassadeurs de l’Autriche près les cours de Paris, Londres et Saint-Pétersbourg, 1er juin 1866. — Qu’on veuille bien nous permettre de citer en même temps un autre document qui, bien que datant déjà de près de vingt ans, a cependant le mérite de jeter une vive lumière sur la question. Dans les commencemens de 1849, le général Pelet fut envoyé par le président de la république française, Louis-Napoléon, en mission confidentielle auprès du roi Charles-Albert. Voici un très curieux passage de l’une des dépêches du général en date du 22 janvier, « M. Gioberti m’a exposé à plusieurs reprises son idée favorite. Il paraît persuadé que l’Autriche aurait plus d’intérêt à faire dans des conditions avantageuses l’abandon de ses possessions italiennes qu’à les conserver avec les sacrifices qu’elles lui imposent. Il pense qu’une rançon de fortes sommes d’argent et que la concession de grands avantages commerciaux seraient pour l’Autriche une compensation suffisante de la perte de l’Italie. Habitué depuis longtemps à étudier pendant la guerre et pendant la paix la politique générale de l’Europe est surtout celle de l’Autriche, je ne pouvais nullement partager ces opinions. Après avoir établi, pendant deux siècles, sa politique au centre de l’Europe, dans la Belgique et le Brisgau, ce qui lui permettait de porter à sa volonté la guerre sur les frontières de la France, l’Autriche voit aujourd’hui toutes ses prétentions de politique extérieure concentrées dans son royaume subalpin; mais par cette position elle touche au Piémont, à la Suisse, aux duchés de sa famille, et par ces états elle exerce une influence sur le midi de l’Europe, sur Rome, sur le royaume de Naples. Par l’Adriatique, elle pénètre dans la Méditerranée et dans l’Orient : elle espère devenir une puissance maritime. En abandonnant ses possessions subalpines, l’Autriche deviendrait un état étranger à la partie occidentale du continent, un état purement oriental et slave. Jamais l’intérêt, jamais l’orgueil de la cour de Vienne ne pourra être réduit à ces extrémités autrement que par la force des armes. Aucun avantage, quelque grand qu’il fût, ne pourrait racheter des pertes aussi considérables. J’ai dit encore que par la suppression de la Pologne, qu’elle regrettait maintenant amèrement d’avoir immolée, l’Autriche avait perdu toutes ses garanties vers le nord et l’est, et sentait la Russie menaçante sur la moitié de ses frontières. Minée d’un autre côté par la Prusse dans son ancienne prépondérance impériale en Allemagne, menacée par elle jusque dans ses provinces germaniques, la maison des Habsbourg devait nécessairement s’arrêter dans la voie de concessions, ou consentir à ne plus être une des grandes puissances européennes… »
    Certes on ne saurait trop admirer le coup d’œil politique et pour ainsi dire prophétique du général Pelet. En effet, après la perte de la Vénétie et son expulsion du Bund, l’Autriche de nos jours est-elle autre chose qu’un état purement oriental et slave? D’un autre côté, les considérations présentées par le général français ne devraient-elles pas servir encore aujourd’hui à atténuer de beaucoup le reproche constamment adressé à l’Autriche de n’avoir pas fait à temps le sacrifice de la Vénétie? Autant eût valu demander à l’Angleterre l’abandon de l’Irlande, à la Russie la cession de la Pologne...