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Les anecdotes, les détails qu’il recueille n’étaient point inconnus : ils ont alimenté les conversations du temps, ils ont formé cette histoire courante, insaisissable, qui échappe à toutes les censures, mais c’est pour la première fois que ces événemens sont éclaircis pour le public, qu’ils sont montrés dans leur ensemble, dans leur vérité comme dans leur redoutable logique. Ces livres de M. Ténot ont de plus le mérite, il faut le dire, d’être écrits avec une sincérité très simple sous laquelle on sent l’émotion, avec un zèle patient d’exactitude qui a la juste prétention de ne rien défigurer, de rassembler des matériaux encore plus que de retracer une histoire définitive. L’auteur raconte les faits le plus souvent avec les témoignages officiels, et les poursuit en province comme à Paris ; il laisse parler les hommes, il les montre à l’œuvre, et il en ressort un tableau aussi instructif que saisissant dans sa nudité, qui n’est point précisément de nature à faire aimer les révolutions dans aucun sens. On a raconté, si nous nous souvenons bien, qu’un jour, peu après 1851, M. le duc de Broglie, qui venait d’être reçu à l’Académie française et qui avait parlé avec une modération éloquente du 18 brumaire, avait fait la visite d’usage aux Tuileries comme nouveau membre de l’Institut. L’empereur lui aurait dit : « Monsieur le duc, j’espère que votre petit-fils parlera du 2 décembre comme vous avez parlé du 18 brumaire. » M. de Broglie se serait contenté de répondre : « L’histoire jugera. » Cinquante ans ne sont pas passés depuis le 2 décembre, l’histoire n’a pas encore jugé. Convenez cependant que ce sont là d’étranges phénomènes qui laissent un trouble profond dans les esprits même quand ils font le calme matériel à la surface, que c’est une étrange épreuve pour la conscience d’une société de se trouver deux fois, à un demi-siècle d’intervalle, en face d’actes semblables, qu’on appellera, si l’on veut, des nécessités, qui ont été dans tous les cas absous par le plus large vote populaire, et qui ne sont pas moins l’humiliant aveu de l’impuissance des moyens réguliers dans la politique. Le malheur de ces nécessités, si nécessités il y a, c’est de commencer par créer une situation où toutes les idées sont interverties, où ceux qui défendent la loi deviennent tout à coup des rebelles et sont traités comme des coupables, où, ne fût-ce qu’un instant, avant la sanction d’un vote, la force reste seule souveraine, et où le coup d’état d’en haut se multiplie en mille coups d’état anonymes, inavoués, qui vont frapper indistinctement. C’est là justement le côté douloureux de cette révolution de décembre, en province peut-être encore plus qu’à Paris. Et après l’émotion qu’éveillent ces scènes, dont on voit aujourd’hui de hauts fonctionnaires décliner la responsabilité, une réflexion naît aussitôt. Comment ces événemens sont-ils devenus possibles ? comment même un coup d’état peut-il réussir ? Il y a dans les journées de décembre une particularité que M. Ténot avoue avec une parfaite impartialité, qu’il met en relief dans un dramatique épisode des rues, c’est la tiédeur de la population parisienne, un peu surprise au premier instant, mais nulle-