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prime sur l’or monta jusqu’à près de 200 pour 100. Après la cessation des hostilités, le secrétaire du trésor fut autorisé par le congrès à réduire de 50 millions de francs pendant le premier semestre et de 20 millions par mois au-delà de ce délai la masse de papier-monnaie en circulation. Cette habile résolution fit descendre graduellement la prime. Au mois de novembre 1866, elle n’était déjà plus que de 23 pour 100. Des causes étrangères à l’Union devaient bientôt faire remonter l’agio, donner une apparence de raison aux adversaires de M. Mac-Cullogh, et soumettre son système à une terrible épreuve.

La crise financière qui bouleversa l’Europe et sévit particulièrement sur l’Angleterre au printemps de 1866 fit sentir ses effets en Amérique. Dans l’espace de trois mois, l’exportation des métaux précieux y avait atteint le chiffre de 210 millions de francs. L’agio sur l’or s’était relevé, et était à 35 pour 100 ; il sauta brusquement à 65 pour 100 à l’arrivée du steamer qui apportait la nouvelle de la rupture des conférences et de l’imminence d’un conflit armé entre la Prusse et l’Autriche. S’il ne se maintint pas fort longtemps à ce taux de panique, il ne redescendit pas non plus au point où il était avant cette alerte, oscilla durant plusieurs mois entre 50 et 55 pour 100, et ne reprit que lentement une marche décroissante. Cette rareté du numéraire et le malaise qui ne pouvait manquer d’en être la suite pour l’industrie américaine fournissaient aux adversaires du rachat du papier-monnaie le thème de violentes attaques contre les plans financiers du gouvernement. Ce dont le pays souffre, disaient-ils, c’est de la disette d’instrumens d’échange. Si on n’avait pas retiré de la circulation autant de greenbacks, le pays se serait trouvé mieux en mesure de résister à la saignée.de métaux précieux qu’il a subie. Il vaut mieux avoir un marché largement approvisionné, à défaut d’or, de valeurs même dépréciées, que de se condamner, faute d’agens de circulation, à une stagnation soudaine des affaires. D’après eux, il fallait au moins se hâter d’émettre une somme de billets égale à la valeur des récentes exportations de monnaie métallique. C’est un singulier raisonnement, il faut en convenir, que celui qui fait entrer dans l’actif d’un pays le papier-monnaie dont ce pays ne possède pas l’équivalent en or. La valeur du papier-monnaie a justement pour base le rapport qui existe entre la circulation fiduciaire et la circulation métallique. Celle-ci ayant diminué, c’était une raison, non d’étendre, mais au contraire de resserrer dans la même proportion la circulation fiduciaire, si l’on ne voulait pas rendre la valeur du papier tout à fait chimérique. C’est sur ce principe d’une évidence incontestable que reposait tout le plan de M. Mac-Cullogh. Les circonstances imprévues qui empêchèrent ce plan de réaliser tout le bien qu’on en attendait ne devaient pas en faire méconnaître la sagesse, et elles ne le firent pas abandonner. L’exécution ferme et persévérante de ce programme fera remonter infailliblement la valeur