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questions qui leur étaient posées. A tout elles ont dit oui, à la constitution de 1791, à la constitution de 1793, au consulat, à l’empire, et cela dans le rapide espace de quinze ans, c’est-à-dire dans le cours d’une même génération. Il n’est point permis, même à la nation souveraine, de se contredire à ce point. La raison proteste contre la légitimité de ces bruyans et perpétuels démentis. Les 417 citoyens d’Aignay qui, sur la demande de la convention, acceptèrent avec tant d’ensemble la constitution de 1793 savaient-ils ce qu’ils faisaient en ce beau jour d’allégresse ? Ils votaient la terreur, et la France entière votait comme eux.

A partir de ce moment, le bourg d’Aignay fut livré au plus complet désordre ; les séances tumultueuses de la société populaire se passaient en dénonciations et en invectives que se renvoyaient dans le langage du temps les révolutionnaires et les modérés. Le parti modéré était assurément le plus nombreux, mais les sans-culottes l’emportaient par l’audace et par la tactique. La parole ne suffisait pas ; on écrivait, on imprimait libelles et mémoires. Des presses de Dijon sortait la « Déclaration authentique des vrais sans-culottes de la société populaire séante ci-devant à Aignay (Côte-d’Or), et actuellement à Beaunotte, pour se soustraire aux persécutions des feuillantistes, aristocrates, modérantistes, muscadins et fanatiques, adressée aux jacobins, aux sociétés affiliées et à tous les vrais amis de la patrie. » Frochot était naturellement le point de mire de ces ardentes dénonciations ; après plusieurs mois de lutte, il succomba sous les efforts de ses adversaires, et le 16 février 1794 le représentant du peuple Bernard de Saintes, délégué par la convention nationale pour le département de la Côte-d’Or, lança contre lui un mandat d’arrestation. Frochot trouva d’abord un asile chez un de ses voisins. Le 24 février, et alors qu’on le supposait en fuite, il osa sortir de sa retraite et se présenter devant la société populaire, où il fit une dernière réponse aux attaques des sans-culottes. Cet acte de courage le perdit en révélant sa présence à Aignay. L’agent national somma la municipalité de livrer Frochot mort ou vif, et déclara traître à la patrie quiconque lui donnerait asile. Le 3 mars, le proscrit se remit lui-même entre les mains de l’autorité révolutionnaire, et le soir même il était écroué à la maison d’arrêt de Dijon, d’où il ne sortit que le 10 octobre, après la réaction de thermidor. Les terroristes d’Aignay durent trembler à leur tour. Les uns s’enfuient, un autre se tue, celui-ci devient fou, ceux-là demandent grâce. « Citoyens, dit Pajot, l’un des membres du comité terroriste, je fus placé dans le comité de surveillance par la force, installé par la force ; ce fut le commencement de mon malheur. Ne connaissant ni lois ni décrets, à peine sachant écrire, la