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comme la conduite cessaient d’avoir le caractère d’un débat pacifique ; c’était la guerre avec ses emportemens et ses violences. D’un autre côté, les chefs du tiers-état, les hommes qui, tels que Frochot, tenaient à conserver la constitution, se laissèrent promptement entraîner au-delà des bornes, soit qu’ils fussent dominés par la crainte d’un retour offensif de l’ancien régime, soit qu’ils sentissent la nécessité de suivre momentanément le mouvement populaire, si excessif qu’il fût, pour être toujours à portée d’en reprendre la direction et de le maîtriser. N’oublions pas qu’en même temps la France avait à faire face à une guerre étrangère, dirigée non point tant contre son territoire que contre ses institutions, à une guerre ouvertement déclarée par l’Europe de l’ancien régime à la révolution nouvelle. Comment s’étonner que la France entière ait perdu le sang-froid, que le patriotisme, surexcité par l’approche de l’ennemi, ait soulevé les foules, que cette sorte d’effarement national au sein d’une société désorganisée ait promptement abouti au tumulte, et que dans cette mêlée confuse les chefs, pour se faire écouter ou seulement même pour se faire entendre, aient crié le langage des soldats ?

Frochot était donc redevenu en 1792 membre de la société populaire d’Aignay, qui lui avait décerné la présidence. La grande majorité de la population lui était reconnaissante et dévouée ; mais déjà commençait à s’agiter une minorité turbulente, les partis se dessinaient. En face des constitutionnels et des modérés, les jacobins avaient arboré leur drapeau : ces jacobins d’Aignay se composaient du directeur des postes, d’un médecin, d’un vicaire, d’un serrurier, d’un peintre en bâtimens et d’un perruquier. Ces fortes têtes représentaient le parti révolutionnaire. Au commencement de décembre, on apprit à Aignay que l’on avait trouvé aux Tuileries la preuve des relations de Mirabeau avec la cour, et que la convention venait de porter un décret d’accusation contre la mémoire du grand orateur. Frochot, lui aussi, l’ami, le confident de Mirabeau, était donc un traître ! Sa maison fut envahie et saccagée par l’émeute, et il dut se justifier en offrant sa démission de conseiller municipal. Le conseil refusa cette démission, mais la popularité de Frochot venait de recevoir une grave atteinte, et il lui fallut presque immédiatement donner des gages en faisant voter par la société populaire une adresse à la convention, adresse dans laquelle les citoyens d’Aignay faisaient acte d’adhésion à la république, et félicitaient les représentans du peuple d’avoir aboli la royauté. On vit cependant, par les termes de l’adresse, à quel point l’ancien constituant s’inquiétait de l’avenir de cette république qu’il n’avait point désirée, et avec quelle sollicitude il redoutait les excès et les