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acte de présence au National du temps de Carrel les jours d’émotion ou d’émeute, sauf à regarder brusquement à sa montre et à se rappeler qu’il n’avait plus que juste le temps de courir à l’École normale faire une conférence sur Gongora ou le cavalier Marini. C’était ce qu’on peut appeler un républicain platonique, auquel il ne manquait rien quand il n’avait qu’à exhaler son feu dans le salon de l’Abbaye devant Mme Swetchine ou le duc de Laval. Tout cela n’était pas fort inquiétant. Aussi, je le répète, ne puis-je rien comprendre à la question faite par M. Guizot à Tocqueville : le doute à cet égard n’était pas possible, et d’ailleurs ce n’était pas à un ministre de le soulever. Ampère avait eu une envie extrême d’être de l’Académie française, où il était si bien à sa place, et pendant dix-huit ans la politique, si vivement qu’il la conçût, ne mit jamais de son côté une entrave ni un retard à la poursuite de ses sollicitations, toutes littéraires d’ailleurs, et de ses continuels désirs.

Il accepta, pendant la république, de MM. Carnot et Jean Reynaud la mission d’aller examiner en province les élèves d’une future école administrative qui n’exista jamais que sur le papier. Il eut aussi de M. de Falloux une place de conservateur à la Bibliothèque Mazarine, qu’il ne garda pas longtemps. La spirituelle vicomtesse de Noailles, avec la duchesse de Mouchy sa fille, essaya un moment, en l’attirant et le retenant à Mouchy, de substituer une influence aimable et consolante à celle qui venait de s’éteindre ; ce n’était, à vrai dire, qu’un redoublement d’intimité ; mais si Ampère ne haïssait nullement l’aristocratie, il la préférait un peu moins haute et moins princière jusque dans la familiarité. Tocqueville malade, épuisé de fatigue après son ministère, alla passer à Sorrente une saison, et Ampère l’y accompagna fidèlement. Cependant l’inquiétude le possédait toujours. Il entreprit en 1851-1852 cette Promenade en Amérique qu’il a racontée avec la même rapidité et le même entrain qu’il mit à la faire. Pour lui, visiter les États-Unis, c’était encore continuer l’entretien avec Tocqueville ; mais les États-Unis eux-mêmes lui avaient été trop étroits : il y avait joint, pour commencer, le Canada, et, en finissant, le Mexique. Comme voyageur, il jouissait évidemment de se compléter. Nécessaire peut-être pour l’auteur, ce voyage l’était moins pour le public, et il ne ressortait d’un récit toujours agréable ni renseignemens ni peintures d’un caractère original bien nouveau. J’excepterai pourtant la partie qui traite du Mexique. Ce Mexique d’Ampère, à sa date, avait sa nouveauté : il était observé dans ses mœurs avec justesse, avec ironie dans son gouvernement et sa politique, avec érudition et lumière dans ses antiquités, et il offrit à l’auteur le prétexte d’une prophétie ou d’une utopie grandiose sur l’avenir réservé à l’isthme de Panama. L’auteur se risquait à y prédire la fondation d’une ville,