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nous reprenons des fers, nous recevons la mort, et par nous l’Europe est esclave. Vainqueurs, nous assurons à jamais nos libertés, celles de nos derniers descendans, et au milieu des douceurs de la paix nous attendons le réveil des peuples. » Deux mois plus tard, c’est lui encore qui est désigné pour prononcer dans la petite église d’Aignay l’oraison funèbre des volontaires qui ont péri dans le premier combat engagé contre les Autrichiens, et c’est encore le même pathos en l’honneur de la liberté et à la honte des tyrans. Il n’est point sans intérêt de noter ces variations rapides du langage politique. Ce style nouveau, c’était une époque, le prélude de l’égarement révolutionnaire, qui, faussant le génie de la France, son génie littéraire en même temps que son génie politique, produisit l’exagération des sentimens et la boursouflure du langage, corrompit l’idée et la parole, et répandit dans toute la nation une sorte de contagion déclamatoire, ridicule autant que malsaine. La langue des jacobins faisait son tour de France et s’infiltrait dans ces innombrables sociétés populaires qui s’.étaient formées à l’image du célèbre club de Paris. C’étaient partout les mêmes discours, emphatiques et vides. Rien ne fait mieux comprendre la France de 1792, rien ne fait mieux pressentir 1793 que cette littérature outrée et enflée du jacobinisme, à laquelle les esprits les plus honnêtes ne pouvaient plus résister.

Que l’on ne croie point que, si les hommes réputés sages forçaient ainsi la voix et s’élevaient au diapason populaire, c’était de leur part un acte de pusillanimité. Il faut se rendre compte de la situation très complexe dans laquelle se trouvait placée la génération politique de 1792. D’une part, sauf dans le haut clergé et dans les rangs élevés de la noblesse, il y avait en France un enthousiasme très vif et très sincère pour les conquêtes de 1789. Par l’abolition des droits féodaux, ces conquêtes profitaient directement aux populations des campagnes ; par la suppression des privilèges de naissance et par l’admission plus large de la classe éclairée aux fonctions politiques, elles servaient les intérêts et l’ambition de la bourgeoisie des villes. La masse du pays appartenait réellement au parti de l’action, c’est-à-dire qu’elle voulait la réalisation complète des vœux émis dans les cahiers du tiers-état et l’exercice plein et entier des droits inscrits dans le préambule de la constitution, en un mot l’égalité civile et le gouvernement représentatif. Les menées du haut clergé et d’une partie de la noblesse, ainsi que les manœuvres indécises de la cour, en contrariant ce mouvement général, devaient nécessairement exciter des inquiétudes, créer l’irritation, et par l’aveuglement de la résistance provoquer les imprudences de l’action. Dès lors le langage