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diverses régions du territoire fussent encore très lentes, les événemens de Paris avaient leur contre-coup presque immédiat dans les départemens les plus éloignés. Le mot d’ordre partait du club des jacobins. Il s’était formé dans chaque canton des sociétés populaires où se débattaient en pleine liberté les doctrines de la révolution. Les fonctionnaires de la monarchie ayant disparu avec les anciennes circonscriptions politiques, il fallut pourvoir à leur remplacement par une série d’élections intéressant le département, le canton et la commune. Aux discussions de principes venaient se joindre les compétitions personnelles, qui se produisaient jusque dans les moindres hameaux. La plupart des historiens ne sont occupés que de ce qui se passait alors à Paris ; mais ailleurs l’émotion politique n’était pas moins vive. Nous avons eu depuis cette époque d’autres révolutions où Paris joua seul un rôle actif, tandis que les provinces se soumettaient, dociles et résignées, aux destinées qui leur étaient faites. En 1790 et 1791, l’effervescence et l’agitation étaient générales ; elles régnaient dans toutes les parties de la France, dans toutes les classes de la population. Nous pouvons en juger par le tableau que nous présente le petit canton d’Aignay-le-Duc. C’est comme une miniature de la France réformée, entraînée sur la pente de la révolution, et s’écartant par bonds rapides de la ligne droite que lui a si laborieusement frayée la constitution. Sous ce rapport, le récit extrait des papiers de Frochot prend les proportions d’un véritable document historique.

La société populaire d’Aignay avait été fondée en avril 1790. On s’y réunissait d’abord tous les quinze jours sous la présidence du curé ou du maire pour y lire les journaux de Paris. Quelques mois à peine s’étaient écoulés, que déjà la société en était venue à correspondre avec le club des jacobins et à lui envoyer des notes sur l’état des esprits, le taux des fortunes et les relations des personnes dans le district. En juillet 1791, après la fuite du roi à Varennes, elle demanda la mort de Louis XVI. Pour un simple club de canton, c’était aller vite en besogne. Frochot, dont les opinions libérales étaient fort distancées, s’abstint d’abord d’assister aux réunions de la société populaire ; mais son silence ne tarda pas à devenir suspect, et dans l’intérêt même de son canton il dut s’arracher aux tranquilles occupations du prétoire pour affronter l’orageux forum d’Aignay. C’était au mois de mai 1792. Louis XVI, entraîné par l’assemblée, venait de déclarer la guerre à l’Autriche. Frochot accepta les fonctions de commissaire du recrutement pour la levée des volontaires, et il adressa aux gardes nationales du canton une proclamation ampoulée dans laquelle on a peine à reconnaître le langage du modeste député à la constituante. « Vaincus, leur disait-il,