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aujourd’hui pour un révolutionnaire, si l’on venait proposer de livrer au scrutin populaire le choix des magistrats. En 1791, la majorité de l’assemblée constituante n’hésitait point à enlever à l’autorité royale une prérogative qui, après comme avant la révolution, sous la république de 1848 comme sous la monarchie constitutionnelle, est demeurée sans conteste attachée à l’exercice du pouvoir exécutif. Et cette majorité se composait de magistrats, de jurisconsultes, d’hommes modérés, tels que Frochot. Quels devaient être les abus, les dénis de justice de l’ancien régime pour qu’un pareil vote sortît d’une telle assemblée !


II

L’assemblée constituante avait décrété que ses membres ne pourraient pas être éligibles pour l’assemblée législative : lourde faute que la France devait cruellement expier ! De même que la royauté avait commencé son suicide en admettant l’incompatibilité entre les fonctions de ministre et le mandat de député, de même les constituans commettaient un véritable acte d’abdication en s’exilant de l’assemblée qui devait inaugurer la mise en pratique du régime nouveau. Non-seulement ils livraient à d’autres mains l’instrument délicat et fragile qu’ils venaient de créer, cette constitution où les premiers représentans du peuple avaient inscrit les principes du droit national, mais encore ils rompaient brusquement la tradition du parti monarchique et libéral qui avait exprimé la pensée de 1789. Quand on relit les débats de la constituante, on est émerveillé du nombre et de la variété des talens qui se rencontrèrent dans cette première assemblée, et l’on comprend que ces esprits d’élite, impatiemment courbés sous les classifications de l’ancien régime, se soient tout d’un coup redressés avec une telle force d’épanouissement. Pouvait-on espérer que le pays produirait une seconde pléiade d’hommes politiques capables de continuer l’œuvre de ceux qui allaient disparaître ? A supposer que la France fût assez féconde en intelligences et en caractères pour subvenir à ce recrutement immédiat de nouveaux députés, elle était privée de l’expérience qu’avaient acquise les députés anciens, et qui était plus que jamais nécessaire pour assurer la bonne direction des affaires publiques. Leur mission terminée, la plupart des constituans retournèrent dans leurs provinces, où ils briguèrent les fonctions locales, qui étaient devenues électives. Frochot se retira dans son bourg d’Aignay-le-Duc, au milieu de ses concitoyens, qui le nommèrent juge de paix.

L’agitation politique commençait à se répandre dans les provinces. Bien que les communications entre la capitale et les