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bleue qui s’ajustait spontanément et dessinait la taille sans fermer. Un soupçon de ruban rouge illuminait sa boutonnière ; le paletot était jeté sur le bras gauche et la main droite tenait le chapeau. Col rabattu, cravate longue, gants de Suède ; pas un atome de bijouterie. Rien de plus simple et de plus bourgeois que cette tenue matinale, et pourtant je vous jure que François Ier et Henri VIII au camp du Drap d’or n’avaient pas plus grand air à eux deux que lui seul.

Il se tint immobile et comme recueilli pendant quelques minutes, puis il se jeta résolument dans le petit sentier de droite et traversa l’église tout du long. Il fit alors volte-face et revint à pas lents, promenant ses regards sur la foule, en homme qui serait chargé du dénombrement des chapeaux bleus. Lorsqu’il me rejoignit, je n’eus pas à l’interroger ; son visage exprimait la mauvaise humeur et le dédain. « J’en étais sûr, dit-il. Viens déjeuner.

— Personne ?

— Absolument.

— J’en appelle ! Tu as mal cherché.

— Vois-y toi-même I »

Je ne me fis pas prier pour recommencer preuve, et je n’eus pas de peine à trouver Mme Bersac. Elle était au milieu du premier rang de chaises, dans la toilette qu’elle nous avait annoncée, et j’ajoute que ce velours bleu lui seyait fort bien. Sa personne me parut des plus appétissantes, une jolie poularde au blanc. La figure rondelette avait la couleur et la fermeté du biscuit de Sèvres, avec ce modelé friand qui donne tant de rapin aux nymphes de Clodion. Les cheveux d’un beau blond cendré faisaient un contraste adorable avec des sourcils châtains et des yeux noirs. La main, trop strictement gantée, à la mode de province, était petite, et les dents belles. Voilà tout ce que je pus noter en un moment d’examen rapide et contrarié, comme un officier lève un plan sous le feu d’une citadelle. La jeune veuve, à qui sa meilleure ennemie n’eût pas donné plus de vingt-six ans, était assise entre deux dragons fantastiques, échappés de je lie sais quel conte de Topffer. Imaginez un petit homme de soixante-quinze ans, sec, aplati, déteint comme une fleur d’herbier, et une vieille virago effroyable de barbe et monstrueuse de graisse. Impossible de voir un tel couple sans penser à ces ménages d’araignées où la femelle dévore son mari après les noces. Au demeurant, la meilleure harmonie semblait régner entre ces phénomènes ; ils faisaient le guet tour à tour en suivant la messe sur leurs livres : dès que l’homme baissait les yeux, la femme levait la tète, et lorsqu’elle reprenait ses prières, il reprenait sa faction.

Je rejoignis Étienne en hâte et je lui rendis compte de ce que