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valeur aléatoire. Les débiteurs qui habitent le pays ne sauraient non plus limiter la perte qu’ils subissent en achetant des remises comme lorsqu’ils pouvaient expédier du numéraire au dehors. La violence aveugle des règlemens oppressifs les écrase. La hausse nominale du prix de toute chose se résout en une triste fantasmagorie, et l’équilibre finit par se rétablir, mais au détriment de la chose publique et des intérêts privés. Personne n’y gagne que les manieurs d’argent, les cambistes, mieux informés que les autres, plus aptes à profiter promptement de toute circonstance favorable, et à réaliser le bénéfice que leur offrent la hausse et la baisse alternatives de titres privés de tout contrôle efficace. Ce que nous disons là n’est point un grief élevé contre le commerce du change, qui rend toujours un service utile et qui dissipe les erreurs de la fiction : c’est simplement une accusation irréfutable portée contre les systèmes qui entraînent de pareils résultats. On croit détrôner ce qu’on a si étrangement nommé « la tyrannie de l’or et de l’argent » en substituant au numéraire métallique le papier à cours forcé, et l’on ne fait qu’augmenter la puissance et les bénéfices de ceux qui détiennent l’or et l’argent entre leurs mains. Quels sont ceux qui supportent la perte principale ? Les artisans, les ouvriers, les laboureurs, les salariés de tout ordre. En Autriche, lorsqu’il a été question de remettre la circulation sur un meilleur pied, les manufacturiers déclarèrent qu’ils avaient rencontré la source d’un bénéfice dans la dépréciation de la monnaie, le prix de la main-d’œuvre n’ayant pas monté dans la même proportion que la valeur des produits fabriqués[1]. Voilà où aboutissent certaines doctrines dont l’impuissance se drape dans une fausse tendance démocratique.

L’interdiction ou l’impossibilité du transport du numéraire expose les changes à des variations en quelque sorte illimitées, dominées uniquement par le courant des importations et des exportations. Les roubles russes ont baissé presque de 50 pour 100, et l’on a vu en Amérique la monnaie de papier des états du sud perdre 400 pour 100 avant la fin de la lutte. Le pays qui subit de pareils règlemens importe nécessairement plus qu’il n’exporte ; autrement il n’aurait pas besoin de se couvrir de ces vaines précautions, car l’or y affluerait en échange de l’excédant des marchandises vendues.

On a souvent accusé l’emploi simultané de l’or et de l’argent dans les transactions des diverses contrées de tourner uniquement au bénéfice des changeurs. Cet argument a été exagéré outre mesure. Si les deux places emploient exclusivement l’une l’or et

  1. Théorie des changes étrangers, p. 73.