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allusion, lui étaient nécessaires et venaient bien à propos se joindre à ce qu’il voyait pour le compléter et l’orner ; quand il avait trouvé son trait, il était content. Son esquisse générale était vraie ; la physionomie des lieux était délicatement sentie et rendue sous sa plume : le goût chez lui suppléait aux sens. Il laissera, comme voyageur littéraire, le plus aimable renom. Tous ceux qui passeront après lui là où il a passé se plairont à lui rendre justice et à le saluer d’un souvenir.

Mais pour l’Égypte ce fut autre chose : il ne l’aborda pas seulement en amateur et en touriste, il y mit une ardeur, une application spéciale de savant. La lecture de la grammaire de Champollion, qu’il ouvrit un matin sans dessein arrêté, détermina en lui comme une vocation subite, irrésistible : devenu du jour au lendemain disciple de l’illustre inventeur et l’émule de Lepsius, il se plongea à corps perdu dans cette neuve étude qu’il prétendait bien ne pas aller vérifier seulement sur place, mais faire marcher à son tour et avancer. Quand de telles ardeurs le prenaient, il n’y avait pas à se mettre en travers : il eût tout renversé. Il obtint sans peine une mission du ministre de l’instruction publique, M. Villemain ; on lui adjoignit un savant artiste dessinateur, et il partit sans tarder. Le livre qu’il a publié en 1846 offre le tableau complet de ses impressions, de ses études, de ses recherches, de ses admirations et même de ses rêveries poétiques ; car ce fut, dans ces deux ou trois mois, toute une fièvre, une rage, un conflit de science et de poésie, comme une ivresse de toutes ses facultés émues et surexcitées. Il touchait au but, il était près du retour lorsqu’il paya cet excès d’exaltation et de travail par une maladie qui faillit être mortelle. On le ramena bien faible encore à Marseille ; mais au milieu même de ses dangers et de son épuisement sa noble fièvre morale ne le quitta pas un instant, et il ne songeait qu’à ne pas laisser perdre les trésors de connaissances et d’observations qu’il venait de conquérir.

Il ne tenait qu’à Ampère, à partir de ce moment, de pousser son sillon dans cette voie nouvelle et d’y avancer parallèlement chez nous avec M. de Rougé. Jamais il n’avait plus ouvertement trahi cette soif insatiable de connaître qui le consumait et qui, aux heures où elle s’éveillait plus vive, le forçait de tout laisser pour y obéir. Il dut goûter, indépendamment de tout succès, de grandes satisfactions d’intelligence : il pouvait lire une phrase hiéroglyphique sur le sarcophage d’un pharaon ; il lui était arrivé un soir, avant de s’endormir, de lire un livre chinois sur les ruines d’Éphèse. Ce sont là ; il faut en convenir, de hauts dilettantismes de l’esprit et à la portée d’une rare élite.

Les événemens publics et des accidens privés ne tardèrent pas à