Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 77.djvu/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pensée le tenait une fois, il en était comme obsédé et il ne s’en délivrait qu’en l’épuisant.

S’il avait ses affinités et ses sympathies, Ampère avait aussi le contraire. Il devait nécessairement trouver, parmi ses contemporains, je ne veux pas dire des inimitiés, mais des froideurs ; il rencontrait même ses antipathiques. On ne peut être quelqu’un, ayant talent et caractère, sans qu’il en soit ainsi. Stendhal était l’antipathique de M. Villemain. Bazin était, tant qu’il vécut, le taquin de M. Thiers. Magnin et Lerminier étaient deux antipathiques dans un même groupe. Ampère de même, si je cherche des noms, eût aisément trouvé un opposant ou antipathique en M. de Sacy par exemple, quoique tous deux eussent été un moment condisciples dans leur première enfance. M. de Sacy, si on l’interroge aujourd’hui, ne tient pas à dissimuler ce peu de goût, ce peu de rapport qu’il y avait entre leurs esprits. Rien de plus naturel en effet, si on les prend chacun en soi : l’un adonné tout entier avec une passion exclusive à la grande littérature française du XVIIe siècle ou à la littérature latine cicéronienne, ne louant, ne connaissant que ses chers classiques et bouchant volontiers ses oreilles à tout le reste ; l’autre, toujours à la découverte, par voies et par chemins, toujours ailleurs, soucieux et amoureux avant tout de ce qui était nouveau et différent. Mais entre eux ce peu de sympathie naturelle n’eut pas lieu de se prononcer. M. de Sacy, en ces années (1836-1848), était bien plus politique que littéraire ; il ne s’occupait de littérature qu’incidemment. Ampère et lui ne se rencontraient que peu ; ils ne chassaient pas, comme on dit, le même lièvre. J’ajouterai que, si de la part de M. de Sacy il n’y eut jamais que peu d’attrait pour Ampère, celui-ci eut toujours pour M. de Sacy une estime marquée, tant pour sa personne que pour son nom, et parce qu’il le voyait en idée à côté d’un illustre père. Ils avaient cela de commun tous deux d’être les fils de pères vénérés.

Mais avec un autre écrivain également distingué, un peu plus jeune d’âge, avec M. Nisard, les choses se passèrent tout autrement, Ampère se trouvait en présence d’un esprit didactique, dogmatique, un peu raide, jaloux de fonder et d’asseoir toute la littérature française sur elle-même ou sur une base purement classique, et de la circonscrire avec une muraille quasi de Chine alentour. La méthode de M. Nisard, un peu postérieure à celle d’Ampère, semblait conçue tout exprès pour se dresser en vis-à-vis et en opposition avec elle. Il y avait répulsion instinctive, antipathie véritable entre leurs deux natures d’esprit, et j’ai quelque raison de croire qu’ils ne se rendaient pas justice réciproquement. Les inconvéniens