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formules ordinaires et extraordinaires de la courtoisie : l’empereur et le roi son hôte s’y embrassèrent publiquement et par deux fois ! M. de Bismarck ne paraissait cependant que résigné : ce n’était là en effet que la petite pièce précédant la grande, que le prologue symbolique d’un drame tout autrement palpitant qu’il mûrissait dans son esprit. Le prologue n’en avait pas moins réussi et pouvait satisfaire les plus difficiles, sinon les plus délicats en matière d’art ; tous les personnages du proverbe s’étaient acquittés de leurs rôles avec une perfection rare : la candeur et la ruse, l’intimidation et la conciliation, la révolution et la conservation avaient été mises en œuvre tour à tour, et la simplicité du roi n’avait été égalée que par la duplicité de son ministre. Le succès était complet, et pour la première fois M. Drouyn de Lhuys eut alors le vague sentiment que le baigneur de Biarritz pourrait bien ne pas être un politique aussi moquable.

Ainsi finit la première campagne de Bohême, celle de 1865, campagne toute diplomatique et où l’alliance avec l’Italie ne fut tentée un moment que pour être abandonnée aussitôt. Le désappointement en fut grand à Florence, et on y alla même jusqu’à taxer M. de Bismarck de couardise. Le président du conseil de Prusse eut beau exprimer confidentiellement ses vifs regrets et déclarer qu’il n’avait fait que céder momentanément à une volonté plus forte que la sienne ; il eut beau réserver expressément l’avenir : sur les bords de l’Arno on ne voulut point être consolé. Toutefois il n’est pas jusqu’à cette déception passagère qui ne dût rapporter à l’Italie un bénéfice immédiat et nullement à dédaigner. Exaspérées contre l’Autriche, qui venait de les sacrifier de nouveau à Gastein, les états secondaires de l’Allemagne usèrent de représailles et reconnurent en masse le royaume de Victor-Emmanuel, — reconnaissance qu’ils avaient jusque-là retardée par égard pour 1.empereur François-Joseph. En vérité, les grands génies italiens des siècles passés ont eu raison de célébrer dans des strophes impérissables la déesse Fortune, celle que Dante appelait : Ministra e duce, volve sua spera e beata si gode ! La déesse Fortune se montre aujourd’hui reconnaissante envers la patrie régénérée de ces poètes immortels, envers ce royaume nouveau-né qu’elle ne cesse de combler malgré toutes les envies et qu’elle trouve toujours moyen de contenter, alors même qu’il est battu.


JULIAN KLACZKO.