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des Alpes. Dans ce royaume à peine cimenté par le génie de Cavour, l’antique patrimoine de Victor-Emmanuel avait constitué jusque-là le principe de force et d’ordre ; là avaient régné de tout temps un Sentiment profondément dynastique et une répulsion non moins profonde pour les menées radicales : tout cela changea complètement depuis la translation de la capitale à Florence. « Matériellement encore réuni au royaume, le Piémont avait cessé dès lors de l’être moralement, et devenait insensiblement un élément de dissolution pour la monarchie. Turin était maintenant le foyer principal du garibaldisme ; un conservateur comme le comte San Martino y donnait la main à M. Grispi, et les élections de 1865 devaient bientôt mettre à nu les ravages profonds que cette coalition des partis avait produits dans l’esprit des populations…[1]. » À ces difficultés gouvernementales, dont on appréciait toute la gravité, venait s’ajouter la grande question financière : on se trouvait devant un déficit de 630 millions ! Il n’y avait qu’un moyen pour améliorer la situation du trésor, c’était de réduire l’armée ; mais une semblable mesure aurait aggravé les embarras du gouvernement en face des partis. Procéder à un désarmement, c’était avouer qu’on renonçait à Venise et cimenter par cela même la ligue formidable entre le piémontisme et les garibaldiens ; on tournait ainsi dans un cercle vicieux. Inertia sapientia, avait dit l’année précédente un personnage auguste à Paris ; mais en Italie la sagesse même de M. de La Marmora désespérait de pouvoir encore longtemps se maintenir dans une inertie qui semblait mener à la dissolution ou à la révolution, ou à toutes les deux à la fois.

Aussi le président du conseil de Florence s’empressa-t-il de répondre à l’envoyé prussien que le gouvernement italien était animé envers l’Autriche de sentimens bien connus, qu’il poursuivait un programme également bien connu, et qu’on ne pouvait dès lors douter qu’il profiterait de toute occasion pour compléter l’œuvre de l’unité. Il engagea ensuite M. d’Usedom à obtenir de son gouvernement un exposé catégorique de ses vues sur ce grave sujet en promettant de son côté d’être non moins catégorique dans ses explications. Très ranimé dans ses espérances par la communication verbale qui venait de lui être faite, le premier ministre mit dans le secret son collègue de la guerre, le général Petitti. On envoya aussitôt plusieurs officiers d’état-major avec des missions confidentielles pour s’enquérir des forces et des moyens de l’Autriche en Italie, et déjà même on mettait à l’étude un plan de campagne sur le Pô et le Mincio, — le fameux plan de campagne de 1866, — quand

  1. Le Général La Marmora et l’alliance prussienne.