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l’ont conquis par leurs armes sur le roi de Danemark ; ils avaient par conséquent la liberté d’en disposer selon leurs convenances. Or, comme l’empereur François-Joseph ne pouvait guère songer à s’embarrasser de possessions lointaines sur les confins du nord, il devrait céder sa part de conquête à son bon frère et bon ami le roi Guillaume Ier, la céder à l’amiable et contre de beaux deniers comptans.

C’était demander à l’empereur François-Joseph plus qu’il ne pouvait humainement accorder. Sans parler de l’impudence, du cynisme de la jurisprudence et de l’argumentation prussiennes, bien propres déjà à profondément révolter tout esprit droit et honnête, il y avait là pour l’Autriche un intérêt de dignité, un intérêt politique de premier ordre dont il ne lui était guère loisible de faire le sacrifice. Ce n’était rien encore que de consentir à voir la Prusse asseoir sa prépondérance maritime sur les deux mers, diriger l’Allemagne commerciale et dominer les villes hanséatiques ; c’était de plus créer un précédent très dangereux pour des annexions futures, prononcer contre les états secondaires un arrêt de mort plus ou moins rapproché, mais fatal. Ces états secondaires constituaient la seule force, le seul appui de l’empereur François-Joseph dans la confédération germanique contre l’ascendant croissant de la Prusse ; le gouvernement de Vienne ne les avait déjà que trop blessés et humiliés. Fasciné par M. de Bismarck, le comte Rechberg avait écarté le Bund de la « grande œuvre nationale du Slesvig-Holstein » dans la guerre comme dans la paix, pendant les glorieuses journées de Düppel aussi bien que pendant les négociations avec le Danemark sur le traité de cession. Évincer définitivement les états secondaires en disposant de la dépouille de gré à gré avec Berlin, c’était se les aliéner à jamais, perdre toute influence dans la confédération, c’était pour l’Autriche souscrire à son expulsion du Bund, — avant tout Sadowa !… L’Autriche refusait donc de commettre le suicide qu’on lui demandait ; mais la Prusse de son côté se croyait déshonorée pour toujours, indignement spoliée, si elle consentait jamais à se dessaisir des duchés. Devant cette convoitise du port de Kiel disparaissaient à Berlin toutes les considérations du droit divin, du principe conservateur, de « la trinité politique et chrétienne, » et M. de Gerlach lui-même gémissait, mais se taisait, — doluit et tacuit. Plutôt que de laisser ainsi insulter le bon droit et démentir à ce point l’antique et vénérable devise de la monarchie prussienne, le séculaire suum cuique, on était décidé, dans l’entourage chevaleresque du vieux et u trop honnête » roi Guillaume Ier, à invoquer le Dieu des armées, à prononcer le mot terrible de guerre. On le prononça en effet, ce mot, à