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moderne, la volonté populaire, le suffrage universel, le principe de nationalité et la mission providentielle de certains états. La mission piémontaise de l’état prussien en Allemagne, n’était-ce point là le grand dogme du National Verein ? et comment oublier aussi les tentatives du parlement de Francfort, du parlement d’Erfurth, les propositions toutes récentes de réforme fédérale ? Il ne fallait pas être non plus grand devin pour prévoir que cette nouvelle conquête faite en commun par l’Autriche et la Prusse sur le Danemark deviendrait dans un avenir très prochain une pomme de discorde entre les deux ravisseurs. D’ailleurs, à travers les vicissitudes si nombreuses des deux dernières années et malgré plus d’une divergence profonde, la Prusse a toujours tenu à ne blesser en rien la France, à lui être même agréable en mainte occasion, par exemple à l’occasion du congrès. De toutes les grandes puissances en effet, la Prusse avait été la seule à répondre d’une manière presque sympathique à l’appel du 5 novembre 1863. Le roi Guillaume Ier avait alors offert dans sa lettre « son concours impartial et désintéressé ; » il n’avait pas non plus décliné l’invitation de venir à Paris, « sûr qu’il était d’y retrouver l’accueil cordial qui lui rendait si cher le souvenir de son séjour à Compiègne. » Dans ce mois de septembre 1864, et au moment même où les fréquentes entrevues des souverains du nord tenaient en émoi l’opinion publique, le roi Guillaume Ier, qui revenait de Vienne, avait eu soin de faire un détour sur Schwalbach pour y présenter ses respects à l’impératrice Eugénie, et on fut très sensible à cette délicate attention. Le mois suivant, M. de Bismarck lui-même recherchait l’hospitalité de la France. L’homme éminent, après sa rude campagne des duchés, venait se retremper dans les eaux rafraîchissantes de Biarritz[1] et semer sur sa route des réflexions, des aperçus et des hypothèses qui n’étaient point certes à dédaigner.

La France, — disait M. de Bismarck alors et depuis, toutes les fois qu’il lui fut donné d’entretenir tel des hommes politiques des bords de la Seine, — la France aurait tort de prendre ombrage de l’accroissement de l’influence de la Prusse et, le cas échéant, de son agrandissement territorial aux dépens des petits états. De quelle utilité, de quel secours, sont donc ces petits états sans volonté, sans force, sans armée ? Si loin du reste que puissent aller les desseins et les besoins de la Prusse, ils s’arrêteront nécessairement au Mein, la ligne du Mein est sa frontière naturelle ; au-delà de ce fleuve, l’Autriche gardera, accroîtra même sa prépondérance,

  1. Il ne faut pas confondre ce premier séjour du président du conseil de Prusse à Biarritz avec celui qui eut lieu l’année suivante.