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de Lhuys la sollicitait de s’engager et contribuer à la délivrance de la Pologne ; la face du monde eût été changée dès lors, et Sadowa rendu à jamais impossible. Elle pouvait d’un autre côté se refuser péremptoirement aux propositions françaises, et par une simple mesure administrative, par la proclamation de l’état de siège en Galicie, arrêter l’insurrection dès le début : elle aurait ainsi épargné des flots de sang à la Pologne, et à la France une humiliation profonde. L’homme bilieux et fantasque qui dirigeait alors à Vienne le département des affaires étrangères ne put se décider ni pour l’une ni pour l’autre de ces attitudes franches et loyales ? il ne vit dans le problème polonais qu’une question d’habileté, que le moyen de narguer la Russie et de compromettre la France : il ne s’aperçut point qu’il compromettait l’existence même de l’Autriche et creusait sous ses pieds un abîme. La postérité a déjà commencé pour le comte Rechberg, et son nom est cité dès aujourd’hui au premier rang des destructeurs, hélas ! bien nombreux de l’empire des Habsbourg. Pour juger ce successeur pitoyable des Kaunitz, des Metternich et des Schwarzenberg, il suffira de rappeler que pendant cette seule année de 1863 M. de Rechberg avait entamé à la fois trois des plus grosses affaires du monde, la question polonaise, la réforme fédérale de l’Allemagne et la cause des duchés de l’Elbe. Il les manqua toutes les trois, et ne laissa après lui que confusion, désastres et ruine.

Déjà au commencement du mois d’août 1863, une communication adressée à M. le duc de Gramont attirait l’attention de M. de Rechberg sur les inconvéniens et les dangers que se créait le cabinet de Vienne par son attitude équivoque dans la question polonaise : la France, abandonnée dans cette entreprise, se verrait forcée de chercher ses alliés parmi les états hostiles à l’Autriche, La menace, renouvelée depuis à plusieurs reprises, finit par prendre corps dans le célèbre discours du trône du 5 novembre 1863 : l’empereur Napoléon III y déclarait que « les traités de 1815 avaient cessé d’exister, » et réclamait la réunion d’un congrès pour la solution de « toutes les questions pendantes. » Dépouillé de ses formes oratoires, ce discours signifiait simplement l’abandon de l’entente avec l’Autriche, la volonté de revenir à la politique de 1861-62. Au fond, ce n’était plus la cause de la Pologne, c’était celle de l’Italie qui se trouvait être posée dans le manifeste impérial. Cela est si vrai que, de toutes les puissances de l’Europe, ce fut précisément l’Autriche qui ressentit le plus d’effroi à la suite du 5 novembre ; cela est si vrai que l’idée même du congrès eut un Russe pour père et un Italien pour parrain, car c’était le prince Gortchakof qui avait insinué le projet, et c’était le marquis Pepoli qui l’avait apporté de